Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une maison de la rue Saint-Honoré ; il s’y retirait pour recevoir les visites suspectes, quoiqu’il eût un logement aux Affaires étrangères.

Je le trouvais d’ordinaire accablé de solliciteurs, car en France la mendicité politique est de tous les régimes, elle s’accroît par les révolutions mêmes qui sont faites contre elle, parce que toutes les révolutions ruinent un certain nombre d’hommes, et que parmi nous un homme ruiné ne compte jamais que sur l’État pour se refaire. Il y en avait de toutes sortes, tous attirés par ce reflet de puissance dont l’amitié de Lamartine illuminait très passagèrement Champeaux. Je me souviens entre autres d’un certain cuisinier, homme peu illustre dans son métier, à ce qu’il me semblait, qui voulait absolument entrer au service de Lamartine, devenu, disait-il, le président de la République. « Mais il ne l’est pas encore, lui criait Champeaux. — S’il ne l’est pas, repartait l’autre, comme vous l’assurez, il va l’être et il doit déjà s’occuper de sa cuisine. » Pour se débarrasser de l’ambition obstinée de ce marmiton, Champeaux lui promit de placer son nom sous les yeux de Lamartine, dès que celui-ci serait président de la République, et ce pauvre homme s’en fut fort satisfait, rêvant sans doute aux splendeurs bien imaginaires de sa condition prochaine.

Je pratiquais assez assidûment Champeaux dans ce