Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bruit aussi immense, et la vue de la foule elle-même, quand elle envahit l’Assemblée, ne me parut pas aussi formidable que ce premier rugissement qu’elle fit entendre avant de se montrer. Plusieurs représentants, cédant à un premier mouvement de curiosité ou de crainte, se levèrent ; d’autres crièrent avec force : « En place ! » Chacun se rassit, se raffermit sur son banc et se tut. Wolowski reprit son discours et le continua quelque temps. Je crois que c’est la première fois de sa vie qu’il ait été écouté en silence ; encore n’était-ce pas lui qu’on écoutait, mais la foule dont le bruissement devenait à chaque instant plus distinct et plus proche.

Tout à coup, un de nos questeurs, Degousée, gravit solennellement l’escalier de la tribune, écarte sans parler Wolowski, et dit : « Contrairement à la volonté des questeurs, le général Courtais vient d’ordonner aux gardes mobiles, qui défendent la porte de l’Assemblée, de remettre la baïonnette dans le fourreau. » Ayant prononcé ce peu de mots, il se tut. Ce Degousée, qui était un fort bon homme, avait la figure la plus patibulaire et la voix la plus caverneuse qu’on pût rencontrer. La nouvelle, l’homme et le ton s’accordaient donc pour causer une impression étrange, l’Assemblée s’émeut, puis se calme aussitôt ; il n’y avait plus rien à faire : la salle était forcée.