Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/197

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Cette foule remplit en un instant le grand vide qui était au centre de l’Assemblée, s’y presse et s’y trouvant bientôt à l’étroit, remonte par tous les petits chemins qui conduisaient à nos bancs, s’entasse de plus en plus dans ces petits espaces sans cesser de s’y agiter. Au milieu du mouvement tumultueux et incessant de cette multitude, la poussière devient très épaisse et la chaleur si étouffante que peut-être serais-je sorti pour respirer s’il ne s’était agi que de l’intérêt public, mais l’honneur nous clouait sur nos bancs.

Quelques-uns de ceux qui nous envahirent ainsi étaient armés, plusieurs autres laissaient voir des armes cachées, mais aucun ne semblait avoir la pensée arrêtée de nous frapper. Leurs regards étaient étonnés et malveillants, plutôt qu’hostiles ; chez beaucoup une sorte de curiosité grossière, en train de se satisfaire dominait tout autre sentiment, car, dans nos émeutes même les plus sanglantes, il se trouve toujours une multitude de gens moitié coquins et moitié badauds, qui se croient au spectacle. Du reste, point de chef commun auquel on semblât obéir, c’était une cohue et non une troupe. Je vis parmi eux des hommes ivres, mais la plupart paraissaient seulement en proie à une excitation fébrile que l’entraînement et les cris du dehors, la touffeur, le resserrement et le malaise du dedans leur avaient donnée ; ils dégouttaient