Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/207

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entre eux et je suis convaincu qu’ils y étaient bien résolus en effet. Quant à moi, je pris la résolution de rester, retenu moitié par cette curiosité qui me lie invinciblement aux lieux où se passent des choses singulières, moitié par la pensée que j’avais alors, comme au 24 février, que la force d’une Assemblée réside en partie dans la salle qu’elle occupe. Je restai donc et j’assistai aux scènes désordonnées et grotesques, mais sans intérêt et sans portée, qui suivirent. La foule entreprit, au milieu de mille désordres et de mille cris, de composer un gouvernement provisoire. C’était la parodie du 24 février, comme le 24 février avait été lui-même la parodie d’autres scènes révolutionnaires. Cela durait depuis assez longtemps, quand je crus entendre au milieu du bruit un son irrégulier qui partait de l’extérieur du palais. J’ai l’oreille fort alerte et je ne tardai pas à discerner le son d’un tambour qui s’avançait en battant la charge ; car, dans nos temps de discordes civiles, chacun a appris à connaître la langue de ces instruments guerriers. Je courus aussitôt vers la porte par où ces nouveaux venus allaient entrer.

C’était un tambour, en effet, qui précédait une quarantaine de gardes mobiles. Ces jeunes gens pénétrèrent dans la foule avec assez de résolution, mais sans qu’on pût trop dire d’abord ce qu’ils y venaient faire ;