Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/24

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Je perds le fil de mes souvenirs au milieu de ce labyrinthe de petits incidents, de petites idées, de petites passions, de vues personnelles et de projets contradictoires, dans lequel s’épuisait la vie des hommes publics d’alors. Il ne me reste bien présent à l’esprit que la physionomie générale de cette époque ; car je la considérais souvent avec une curiosité mêlée de crainte, et je discernais nettement les traits particuliers qui la caractérisaient.

Notre histoire, de 1789 à 1830, vue de loin et dans son ensemble, ne doit apparaître que comme le tableau d’une lutte acharnée entre l’ancien régime, ses traditions, ses souvenirs, ses espérances et ses hommes représentés par l’aristocratie, et la France nouvelle conduite par la classe moyenne. 1830 a clos cette première période de nos révolutions ou plutôt de notre révolution, car il n’y en a qu’une seule, révolution toujours la même à travers des fortunes diverses, que nos pères ont vu commencer et que, suivant toute vraisemblance, nous ne verrons pas finir. En 1830, le triomphe de la classe moyenne avait été définitif et si complet que tous les pouvoirs politiques, toutes les franchises, toutes les prérogatives, le gouvernement tout entier se trouvèrent renfermés et comme entassés dans les limites étroites de cette seule classe, à l’exclusion, en droit, de tout ce qui était au-dessous d’elle et, en