Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/247

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raient dans la lutte recevraient une pension du Trésor et que leurs enfants seraient adoptés par la République.

On décida que soixante membres de la Chambre, choisis par les bureaux, se répandraient dans Paris, iraient annoncer aux gardes nationaux les différents décrets que venait de rendre l’Assemblée et ramèneraient la confiance de cette milice, qu’on disait incertaine et découragée.

Dans le bureau dont je faisais partie, au lieu de nommer immédiatement les commissaires, on se mit à discuter sans fin sur l’inutilité ou le danger de la résolution qui venait d’être prise ; beaucoup de temps se perdit ainsi. Je finis par arrêter ce ridicule bavardage d’un mot. « Messieurs, dis-je, l’Assemblée peut avoir eu tort, mais permettez-moi de vous faire observer qu’une double résolution ayant été publiquement prise, il y aurait honte pour elle à reculer et honte pour nous à ne pas nous soumettre. »

On vota sur-le-champ ; je fus, comme je m’y attendais, nommé commissaire tout d’une voix. On me donna pour collègues Cormenin et Crémieux, à qui on adjoignit Goudchaux. Celui-ci était moins connu alors, quoique, dans son genre, il fût le plus original de tous. Il était tout à la fois radical et banquier, union rare, et, à force de voir de près les affaires, il avait fini par