Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/249

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gnaient insensiblement vers la droite, c’est-à-dire du côté des Tuileries, et j’entendis l’un, je ne me souviens plus lequel, qui disait : « Où pouvons-nous aller ? Et que pouvons-nous faire d’utile sans guides ? Le mieux n’est-il pas de nous borner à parcourir le jardin des Tuileries ? Plusieurs bataillons de réserve y stationnent ; nous leurs annoncerons les décrets de l’Assemblée. — Assurément, répondait l’autre, je crois même qu’en cela nous remplirions mieux que nos collègues les instructions de l’Assemblée ; car que peut-on dire à des gens déjà engagés dans l’action ? Ce sont les réserves qu’il convient de préparer à entrer à leur tour en ligne. » J’ai toujours trouvé qu’il était assez intéressant de suivre les mouvements involontaires de la crainte chez les gens d’esprit. Les sots montrent grossièrement leur peur toute nue, mais les autres savent la couvrir d’un voile si fin et si délicatement tissu de petits mensonges vraisemblables qu’il y a quelque plaisir à considérer ce travail ingénieux de l’intelligence.

On comprend qu’une promenade aux Tuileries n’était pas mon compte, j’étais parti d’assez méchante humeur. Mais, le vin étant tiré, comme on dit, je pensais qu’il fallait le boire. Je m’adressai donc à Goudchaux et lui fis remarquer le chemin que prenaient nos collègues. « Je le vois bien, me répondit-il d’un air fu-