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Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/272

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tant d’hommes étaient prêts à embrasser la même cause, on avait pris depuis le matin avec beaucoup de raison, le parti de suspendre d’une manière absolue la circulation dans toutes les rues. On arrêtait toutes les personnes qui sortaient de chez elles sans une carte de sûreté ou sans une escorte. On m’arrêta donc très souvent durant mon trajet et on m’obligea de montrer ma médaille. Plus de dix fois, je fus couché en joue par ces factionnaires novices, qui parlaient toutes sortes de patois ; car Paris était rempli de campagnards, arrivés de toutes les provinces et dont beaucoup s’y trouvaient pour la première fois.

Quand j’arrivai, la séance était levée depuis assez longtemps, mais le palais était néanmoins en fort grand émoi. Il s’y était répandu le bruit que les ouvriers du Gros-Caillou, profitant de la nuit, allaient venir s’en emparer. Ainsi, cette Assemblée, qui, après trois jours de lutte, avait reporté le combat jusqu’au sein des quartiers occupés par ses ennemis, tremblait pour ses foyers. Rien n’était moins fondé, mais rien ne montre mieux le caractère de cette guerre où l’ennemi pouvait toujours être le voisin et où l’on n’était jamais sûr de n’avoir pas sa maison saccagée tandis qu’on triomphait loin de là. Pour mettre le palais à l’abri d’un coup de main de cette espèce, on élevait à la hâte cette nuit-là des barricades à l’entrée de toutes