Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/286

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rechercher et trouver les idées mères. Il nous apportait chaque jour cinq ou six articles tout rédigés, et ramenait peu à peu et patiemment sur ce petit terrain tous ceux qui voulaient s’en écarter. On regimbait quelquefois, mais, de guerre lasse, on finissait par céder à cette contrainte douce et continue. L’influence d’un président sur les travaux d’une commission est immense ; tous ceux qui ont vu de près ces petites assemblées me comprendront. Il faut convenir pourtant que si plusieurs d’entre nous avaient eu la volonté de se soustraire à cette tyrannie, ils auraient fini en s’entendant par y parvenir. Mais le temps manquait pour les grandes discussions, et le goût aussi. L’immensité et la complication du sujet effrayaient et fatiguaient d’avance les esprits : la plupart n’avaient même pas essayé de l’étudier ou n’en avaient tiré que des idées très confuses ; et ceux qui s’en étaient formé de plus nettes se sentaient mal à l’aise pour les exposer. On craignait, d’ailleurs, de se jeter dans des luttes violentes et interminables en tentant de descendre au fond des choses et l’on préférait avoir l’air de rester d’accord en se tenant à la surface. Nous cheminâmes ainsi jusqu’à la fin, adoptant de grands principes explicitement à propos de petits détails, et montant peu à peu toute la machine du gouvernement sans nous bien rendre compte de la force relative des différents rouages et de