Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/301

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tution ne pourrait être revisée que par une Assemblée constituante, ce qui était juste, mais on y ajouta que cette revision ne pourrait avoir lieu que si l’Assemblée nationale le demandait par une délibération expresse, prise trois fois de suite aux quatre cinquièmes des voix, ce qui rendait toute revision régulière à peu près impossible. Je ne pris pas part à ce vote. Je pensais, depuis longtemps, qu’au lieu de viser à rendre nos gouvernements éternels, il fallait tendre à ce qu’on pût les changer d’une manière facile et régulière. Je trouvais cela, à tout prendre, moins dangereux que le système contraire ; et je pensais qu’il convenait de traiter le peuple français comme ces fous qu’il faut se garder de lier, de peur qu’ils ne deviennent furieux par la contrainte.

Je remarquai en passant plusieurs opinions singulières qui furent émises. Martin (de Strasbourg) qui, non content d’être républicain de la veille, déclara un jour si ridiculement à la tribune qu’il était républicain de naissance, Martin proposa néanmoins de donner au président le droit de dissoudre l’Assemblée, sans voir qu’un pareil droit eût rendu facilement celui-ci maître de la république ; Marrast voulut qu’on donnât au conseil d’État une section chargée d’élaborer les idées nouvelles, c’eût été la section du progrès ; Barrot proposa de remettre au jury la décision de tous les procès civils, comme si