Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/316

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disparu. Notre but était de fonder, s’il était possible, la république, ou du moins de la maintenir quelque temps, en la gouvernant d’une façon régulière, modérée, conservatrice et toute constitutionnelle, ce qui ne pouvait nous laisser longtemps populaires, car tout le monde voulait sortir de la constitution. Le parti montagnard voulait plus qu’elle et les partis monarchiques voulaient bien moins.

Dans l’Assemblée, c’était bien pire encore. Les mêmes causes générales s’aggravaient par mille accidents naissant des intérêts et des vanités des chefs de parti. Ceux-ci pouvaient bien consentir à nous laisser prendre le pouvoir, mais quant à nous laisser gouverner, il ne fallait pas s’y attendre. La crise passée, on devait prévoir de leur part toutes sortes d’embûches.

Quant au président, je ne le connaissais point encore, mais il était clair que nous ne pouvions compter pour nous soutenir dans son Conseil, que sur les jalousies et les haines que lui inspiraient nos communs adversaires. Ses sympathies devaient toujours être ailleurs ; car nos visées étaient non seulement différentes, mais naturellement contraires. Nous voulions faire vivre la république : il en voulait hériter. Nous ne lui fournissions que des ministres, quand il avait besoin de complices.