Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/330

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Je voulais la maintenir, parce que je ne voyais rien de prêt, ni de bon à mettre à la place. L’ancienne dynastie était profondément antipathique à la majorité du pays. Au milieu de cet alanguissement de toutes les passions politiques que la fatigue des révolutions et leurs vaines promesses ont produit, une seule passion reste vivace en France : c’est la haine de l’ancien régime et la défiance contre les anciennes classes privilégiées, qui le représentent aux yeux du peuple. Ce sentiment passe à travers les révolutions sans s’y dissoudre, comme l’eau de ces fontaines merveilleuses qui, suivant les anciens, passait au travers des flots de la mer sans s’y mêler et sans y disparaître. Quant à la dynastie d’Orléans, l’expérience qu’on en avait faite ne donnait pas beaucoup de goût pour revenir sitôt vers elle. Elle ne pouvait manquer de rejeter de nouveau dans l’opposition toutes les classes supérieures et le clergé, et de se séparer, comme elle l’avait déjà fait, du peuple, laissant le soin et les profits du gouvernement à ces mêmes classes moyennes que j’avais vues pendant dix-huit ans si insuffisantes à bien gouverner la France. D’ailleurs, rien n’était prêt pour son triomphe.

Louis Napoléon seul était préparé à prendre la place de la république, parce qu’il tenait déjà le pouvoir. Mais que pouvait-il sortir de son succès, sinon une