Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naître ; le mérite le gênait pour peu qu’il fût indépendant. Il lui fallait des croyants en son étoile et des adorateurs vulgaires de sa fortune.

Tel est l’homme que le besoin d’un chef et la puissance d’un souvenir avaient mis à la tête de la France, et avec lequel nous allions avoir à la gouverner.

Il était difficile de prendre les affaires dans un moment plus critique. L’Assemblée constituante, avant de terminer sa turbulente existence, avait pris une décision, le 7 juin 1849, qui interdisait au gouvernement d’attaquer Rome. La première chose que j’appris en entrant dans le cabinet, c’est que l’ordre d’attaquer Rome était transmis depuis trois jours à notre armée. Cette désobéissance flagrante aux injonctions d’une Assemblée souveraine, cette guerre commencée contre un peuple en révolution, à cause de sa révolution, et en dépit des termes mêmes de la constitution, qui commandaient le respect des nationalités étrangères, rendaient inévitable et très prochain le conflit qu’on redoutait. Quelle allait être l’issue de cette nouvelle lutte ? Toutes les lettres des préfets qui furent mises sous nos yeux, tous les rapports de police qui nous parvenaient, étaient de nature à nous jeter dans de très grandes alarmes ; j’avais vu, à la fin de l’administration de Cavaignac, comment un gouvernement pouvait être en-