Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais que le moment de le faire n’était pas venu, puisque l’Assemblée n’était pas encore réunie.

Les représentants arrivaient de toutes parts, attirés, moins par le message qu’on leur avait transmis et que la plupart n’avaient pas reçu, que par les rumeurs de la ville. À deux heures, on entra en séance ; les bancs de la majorité étaient remplis, le haut de la Montagne était désert. Le silence morne qui régnait dans cette partie de l’Assemblée était plus effrayant que les cris qui en partaient d’ordinaire. Il annonçait que la discussion avait cessé et que la guerre civile commençait.

À trois heures, Dufaure vint demander la mise en état de siège de Paris. Cavaignac l’appuya par une de ces allocutions brèves, comme il en faisait quelquefois, et dans lesquelles son esprit, naturellement médiocre et obscur, gagnait les hauteurs de son âme, approchait le sublime. Dans ces circonstances, il devenait, pour un moment, l’homme le plus véritablement éloquent que j’aie entendu dans nos Assemblées : il laissait bien loin derrière lui tous les parleurs :

« Vous dites, s’écria-t-il, s’adressant au montagnard[1] qui descendait de la tribune, que je suis tombé du pouvoir, j’en suis descendu ; la volonté nationale ne

  1. Pierre Leroux.