Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/355

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légitimiste, et je pratiquai moi-même cette conduite. Je fus bientôt et restai celui de tous les membres du cabinet qui vécut en meilleurs termes avec eux. Je finis même par devenir l’unique intermédiaire entre eux et nous.

Il est vrai que mon origine et le monde dans lequel j’avais été élevé me donnaient pour cela de grandes facilités que les autres n’avaient pas ; car, si la noblesse française a cessé d’être une classe, elle est restée une sorte de franc-maçonnerie dont tous les membres continuent à se reconnaître entre eux par je ne sais quels signes invisibles, quelles que soient les opinions qui les rendent étrangers les uns aux autres ou même adversaires.

Il arriva donc qu’après avoir contrarié Falloux plus qu’aucun autre avant d’entrer dans le cabinet, je me trouvai facilement son ami, dès que j’y fus entré. L’homme, d’ailleurs, valait la peine qu’on cherchât à le capter. Je ne sais si, dans ma carrière politique, j’en ai rencontré aucun qui fût d’une espèce plus rare. Il possédait à la fois les deux choses les plus nécessaires à la conduite des partis : une conviction ardente qui le poussait continuellement vers son but sans se laisser détourner par les déboires ou par les périls, et un esprit aussi souple que ferme, qui appliquait une grande multiplicité et une variété prodigieuse de moyens à l’exécution d’un plan unique. Sin-