Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/379

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drai que j’y ai gagné un grand bien, le plus grand peut-être des biens de ce monde, la confiance en moi-même.

Au dehors comme au dedans, nos plus grands obstacles venaient moins de la difficulté des affaires que de ceux qui devaient les conduire avec nous ; je le vis tout d’abord. La plupart de nos agents, créatures de la monarchie, détestaient furieusement, au fond de leur cœur, le gouvernement qu’ils servaient ; et, au nom de la France démocratique et républicaine, ils préconisaient la restauration des vieilles aristocraties et travaillaient secrètement au rétablissement de toutes les monarchies absolues de l’Europe. D’autres, que la révolution de Février avait tirés d’une obscurité où ils auraient dû toujours vivre, appuyaient au contraire, sous main, les partis démagogiques que le gouvernement français combattait ; mais le vice du plus grand nombre était la timidité. La plupart de nos ambassadeurs craignaient de s’attacher à aucune politique dans le pays où ils nous représentaient et redoutaient même de manifester à leur propre gouvernement des opinions dont on eût pu plus tard leur faire un crime. Ils avaient donc soin de se tenir cachés et bien à couvert dans un fouillis de petits faits, dont ils remplissaient leurs correspondances (car en diplomatie, il faut toujours écrire, ne sût-on rien ou ne voulût-on