Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/385

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jusque-là de créer cette unité, réduite à un petit nombre de membres, fuyait Francfort, promenant de place en place son impuissance et le spectacle de ses fureurs ridicules. Mais sa chute ne rétablissait pas l’ordre ; elle laissait, au contraire, un champ plus libre à l’anarchie.

Les révolutionnaires modérés, et on peut dire innocents, qui s’étaient flattés de pouvoir amener paisiblement, par des raisonnements et des décrets, les peuples et les princes de l’Allemagne à se soumettre à un gouvernement unitaire, ayant échoué et se retirant découragés de l’arène, laissaient la place aux révolutionnaires violents, qui avaient toujours assuré que l’Allemagne ne pouvait être conduite à l’unité que par la ruine complète de tous ses anciens gouvernements et l’abolition entière du vieil ordre social. Aux discussions parlementaires succédaient donc de toutes parts des émeutes. Les rivalités politiques tournaient en guerre de classes ; les haines et les jalousies naturelles du pauvre contre le riche devenaient des théories socialistes en beaucoup d’endroits, mais surtout dans les petits États de l’Allemagne centrale et dans la grande vallée du Rhin. Le Wurtemberg était agité ; la Saxe venait d’avoir une insurrection terrible, dont on n’avait pu triompher qu’à l’aide des secours de la Prusse ; d’autres insurrections avaient troublé la Westphalie ; le Palatinat était en pleine révolte et les Badois