Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/387

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qu’il marchait contre les Hongrois. L’empereur Nicolas était jusque-là resté tranquille dans sa puissance incontestée. Il avait vu de loin avec sécurité, mais non avec indifférence, les agitations des peuples. Seul désormais parmi les grands gouvernements, il représentait la vieille société et l’ancien principe traditionnel de l’autorité en Europe. Il n’en était pas seulement le représentant, il s’en considérait comme le champion. Ses théories politiques, ses croyances religieuses, son ambition et sa conscience le poussaient également à prendre ce rôle. Il s’était donc fait de la cause de l’autorité dans le monde, comme un second empire plus vaste encore que le premier, encourageant par ses lettres et récompensant par des honneurs tous ceux qui, dans un coin quelconque de l’Europe, remportaient des victoires sur l’anarchie et même sur la liberté, comme s’ils avaient été ses sujets et eussent contribué à affermir son propre pouvoir. C’est ainsi qu’il venait d’envoyer vers l’extrémité méridionale de l’Europe un de ses ordres à Filangieri, vainqueur des Siciliens, et qu’il lui écrivait une lettre autographe pour lui témoigner qu’il était satisfait de la conduite que ce général avait tenue. De la région supérieure qu’il occupait, et d’où il considérait en paix les divers incidents de la lutte qui agitait l’Europe, l’empereur jugeait librement et suivait avec un certain dédain tranquille non seulement