Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/390

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défende des théories et des passions insensées des novateurs. »

Austère et dur dans l’exercice de sa puissance, le tsar était simple et presque bourgeois dans ses mœurs, ne gardant du souverain pouvoir que la substance et en repoussant la pompe et la gêne. « L’empereur est ici, m’écrivait l’envoyé français à Saint-Pétersbourg le 17 juillet ; il y est arrivé de Varsovie sans aucune suite et sur une charrette de poste (sa voiture s’étant cassée à soixante lieues d’ici), afin d’assister à la fête de l’impératrice qui vient d’avoir lieu. Il a fait le voyage en deux jours et demi avec une vitesse extraordinaire, et repart demain (21). On est touché ici de ce contraste de simplicité et de puissance, à la vue de ce souverain, qui, après avoir lancé cent vingt mille hommes sur un champ de bataille, parcourt les routes comme un feld-jäger, pour ne pas manquer la fête de sa femme. Rien n’est plus conforme à l’esprit des Slaves chez lesquels on peut dire que le principal élément de la civilisation est l’esprit de famille. »

On aurait bien tort, en effet, de croire que l’immense pouvoir du tsar ne fût basé que sur la force. Il était surtout fondé sur les volontés et les ardentes sympathies des Russes. Car le principe de la souveraineté du peuple réside au fond de tous les gouver-