Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/392

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la première, qu’il eût été absolument impossible de conseiller ceux-ci et de se flatter de les conduire à cause de leur extravagance et de leur détestable impéritie ; la seconde, qu’on ne pouvait les soutenir au dehors sans tomber sous leurs coups au dedans. Le contact de leurs passions et de leurs doctrines eût bientôt mis la France en feu, les questions de révolution dominant alors toutes les autres. Ainsi nous ne pouvions nous unir aux peuples qui nous accusaient de les avoir soulevés et trahis, ni aux princes qui nous reprochaient de les avoir ébranlés. Nous en étions réduits au bon vouloir stérile des Anglais ; c’était le même isolement qu’avant Février avec le continent plus ennemi et l’Angleterre plus tiède. Il fallait donc, comme alors, se réduire à vivre petitement, au jour le jour ; mais cela même était difficile. La nation française, qui avait fait et qui faisait encore à certains égards une si grande figure dans le monde, regimbait contre cette nécessité du temps ; elle était restée superbe en cessant d’être prépondérante, elle craignait d’agir et voulait parler haut et demandait aussi à son gouvernement d’être fier, sans pourtant lui permettre les hasards d’un pareil rôle.

Jamais les regards n’avaient été attachés avec plus d’anxiété sur la France qu’au moment où le cabinet venait de se former. La victoire si facile et si complète que nous remportâmes le 13 juin dans Paris, eut des