Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur territoire à la foule des réfugiés inoffensifs qui pouvaient et voulaient quitter la Suisse, sans avoir préalablement chassé les chefs qui eussent trouvé bon d’y rester, on finit par expulser ceux-ci. Après avoir failli s’attirer toute l’Europe sur les bras plutôt que d’éloigner ces hommes de leur territoire, les Suisses les en chassèrent volontairement afin d’éviter une gêne momentanée et une médiocre dépense. Jamais on ne vit mieux le naturel des démocraties, lesquelles n’ont, le plus souvent, que des idées très confuses ou très erronées sur les affaires extérieures, et ne résolvent guère les questions du dehors que par des raisons du dedans.

Pendant que ces choses se passaient en Suisse, les affaires générales d’Allemagne changeaient d’aspect. À la lutte des peuples contre les gouvernements succédaient les querelles des princes entre eux. Je suivis d’un regard très attentif et d’un esprit perplexe cette phase nouvelle de la révolution.

La révolution en Allemagne n’aurait pas procédé d’une cause simple, comme dans le reste de l’Europe. Elle aurait été produite à la fois par l’esprit général du temps et par les idées unitaires, particulières aux Allemands. Aujourd’hui la démagogie était vaincue, mais la pensée de l’unité de l’Allemagne n’était pas détruite ; les besoins, les souvenirs, les passions qui