Thiers en convint et dit les raisons. Duvergier l’appuya avec une grande vivacité. N’étant pas prévenu, je manifestai mon étonnement et m’écriai que tout n’était pas perdu. Thiers parut très contrarié de mon exclamation, et je ne pus m’empêcher de penser que, dès le principe, le but secret de Thiers et Duvergier avait été de se débarrasser du roi, sur lequel ils ne pouvaient jamais compter, et de gouverner sous le nom du duc de Nemours ou de la duchesse d’Orléans, après qu’ils auraient forcé le roi à abdiquer. Celui-ci, qui m’avait paru très ferme jusqu’à un certain moment, me parut, vers la fin, s’abandonner entièrement lui-même. [Ici, il y a une lacune de souvenir, pour moi, dans le récit de Beaumont, je la comblerai dans une autre conversation. J’arrive à la scène d’abdication qui eut lieu peu après.]
Dans l’intervalle, les événements et les nouvelles s’aggravant et la panique gagnant, Thiers avait déclaré qu’il n’était déjà plus possible, ce qui était peut-être vrai, et que Barrot à peine l’était. Il disparut alors, du moins je ne le revis plus dans les derniers moments, ce qui fut un grand tort, car, quoiqu’il déclinât le ministère, il ne devait pas abandonner, dans un instant si critique, les princes et demeurer leur conseiller s’il n’était plus leur ministre. J’assistai à la scène finale d’abdication : le duc de Montpensier priait son père d’écrire et le pressait avec tant de vivacité que celui-ci s’arrêtant lui dit : « Mais enfin, je ne puis aller plus vite. » La reine était désespérée et héroïque : sachant que j’avais paru opposé à l’abdication dans le conseil, elle me prit les mains et me dit qu’il ne fallait pas laisser consommer une lâcheté semblable, qu’il fallait se défendre, qu’elle se ferait tuer, devant le roi, avant qu’on ait pu parvenir jusqu’à lui. L’abdication n’en fut pas moins signée, et le duc de Nemours me pria de courir annoncer au maréchal Gérard, qui était à l’extrémité du Carrousel, que j’avais vu signer le roi, afin qu’il pût annoncer au peuple officiellement que le roi avait abdiqué. J’y courus ; je revins ; tous les appartements étaient vides. J’allai de chambre en chambre sans rencontrer personne. Je descendis dans le jardin ; je trouvai Barrot qui, arrivant du ministère de l’intérieur, venait de se li-