Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/49

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ceux-là qu’elle devait précipiter du pouvoir, et qu’il n’ait été prévu et craint que par les hommes qui allaient vaincre par elle.

Ici, j’ai besoin de rétablir un peu la chaîne de l’histoire, pour pouvoir y rattacher plus commodément le fil de mes souvenirs particuliers.

On se rappelle qu’à l’ouverture de la session de 1848, le roi Louis-Philippe avait qualifié, dans le discours de la couronne, les auteurs des banquets d’hommes excités par des passions aveugles ou ennemies. C’était mettre la royauté directement aux prises avec plus de cent membres de la Chambre. Cette insulte, venant ajouter la colère à toutes les passions ambitieuses qui troublaient déjà le cœur de la plupart de ces hommes, acheva de leur faire perdre la raison. On s’attendait à un violent débat ; il n’eut pas lieu d’abord. Les premières discussions de l’adresse furent calmes, la majorité et l’opposition, comme deux hommes qui se sentent en fureur et qui craignent en cet état de faire ou de dire des sottises, se continrent au début.

Mais la passion éclata enfin, et elle se fit jour avec une violence inaccoutumée ; le feu extraordinaire de ces débats sentait déjà la guerre civile, pour qui sait flairer de loin les révolutions.

Les orateurs de l’opposition modérée furent conduits