Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/51

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fût moins que M. Hébert. Il était resté procureur général jusque dans la moelle des os ; il avait le caractère et la figure de cet emploi. Imaginez-vous une petite face grippée, chafouine, comprimée vers les tempes, un front, un nez et un menton pointus, des yeux secs et vifs, des lèvres retirées et sans rebords ; ajoutez à cela une longue plume placée d’ordinaire en travers de la bouche et qui, de loin, paraissait la barbe hérissée d’un chat et vous aurez le portrait de l’un des hommes que j’aie jamais vu ressembler le plus à un animal carnassier. Il n’était, cependant, ni bête ni même méchant, mais il avait un esprit naturellement emporté et sans jointures qui dépassait toujours le but pour ne pas savoir se détourner ou s’arrêter à temps et qui tombait dans la violence sans le vouloir par ignorance des nuances. Il fallait que M. Guizot attachât bien peu de prix à la conciliation pour envoyer un pareil orateur à la tribune dans de telles circonstances[1] ; son langage y fut tellement exagéré et provocateur que Barrot, hors de lui, s’écria presque à son insu et d’une voix à moitié suffoquée par la colère, que les ministres de Charles X, Polignac et Peyronnet, n’avaient jamais osé parler de la sorte. Je me rappelle que je frémis malgré moi, sur mon banc, en entendant cet homme

  1. M. Hébert, répondant à M. O. Barrot, prétendit que le droit de réunion n’ayant pas été énoncé dans la Charte n’existait pas. (Note de l’éditeur.)