Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/58

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qui gardaient les rues environnantes. Je trouvai la maison de mon hôte en grand désarroi : madame Paulmier, grosse alors et effrayée d’une échauffourée qui avait eu lieu sous ses fenêtres, s’était couchée. Le repas était magnifique, mais la table était déserte ; de vingt invités, cinq seulement se présentèrent ; les autres furent retenus par des obstacles matériels, ou les préoccupations du jour. Nous nous assîmes d’un air fort pensif au milieu de cette abondance inutile. Parmi les convives se trouvait M. Sallandrouze, l’héritier de la grande maison de commerce de ce nom, qui s’est si fort enrichi dans la fabrication des tissus. M. Sallandrouze était un de ces jeunes conservateurs qui, moins pourvus d’honneurs que d’argent, montraient de temps à autre des velléités d’opposition ou plutôt de fronderie, surtout, je crois, pour se donner quelque importance. Celui-ci avait présenté durant la dernière discussion de l’adresse un amendement[1] qui eût com-

  1. M. Sallandrouze de Lamornaix avait proposé d’atténuer les expressions de passions aveugles ou ennemies en les faisant suivre de ce paragraphe : au milieu des manifestations diverses votre gouvernement saura reconnaître les vœux réels et légitimes du pays ; il prendra, nous l’espérons, l’initiative de réformes sages et modérées que réclame l’opinion publique, parmi lesquelles il faut d’abord placer la réforme parlementaire. Dans une monarchie constitutionnelle, l’union des grands pouvoirs de l’État permet de suivre sans danger une politique de progrès et de satisfaire à tous les intérêts moraux et matériels du pays. (Note de l’éditeur.)