Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/94

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France et sur la mienne propre, je trouve que la forme sous laquelle se produisit cette grande aventure en diminua pour moi beaucoup l’effet.

J’ai assisté pendant le cours de la révolution de Février à deux ou trois spectacles qui avaient de la grandeur ; (j’aurai l’occasion de les décrire en leur temps), mais celui-ci en manqua absolument, parce que la vérité ne s’y rencontra jamais. Nos Français, surtout à Paris, mêlent volontiers les souvenirs de la littérature et du théâtre à leurs manifestations les plus sérieuses ; cela fait souvent croire que les sentiments qu’ils montrent sont faux, tandis qu’ils ne sont que maladroitement ornés. Ici, l’imitation fut si visible que la terrible originalité des faits en demeurait cachée. C’était le temps où toutes les imaginations étaient barbouillées par les grosses couleurs que Lamartine venait de répandre sur ses Girondins. Les hommes de la première révolution étaient vivants dans tous les esprits, leurs actes et leurs mots présents à toutes les mémoires. Tout ce que je vis ce jour-là porta la visible empreinte de ces souvenirs ; il me semblait toujours qu’on fût occupé à jouer la Révolution française plus encore qu’à la continuer.

Malgré la présence des sabres nus, des baïonnettes et des mousquets, je ne pus me persuader un seul moment non seulement que je fusse en danger de