Page:Alfieri - De la Tyrannie.djvu/153

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qu’il ne reste aucun moyen de les éviter. Il faudrait donc, sous la tyrannie, étouffer ses propres enfans à l’instant de leur naissance, ou les abandonner en proie à l’éducation commune et à cet abrutissement vulgaire qui ôte tout moyen de penser. C’est le parti que suivent aujourd’hui tous les pères, et il n’est pas moins cruel que l’autre, quoiqu’il soit encore plus vil. Je ne suis pas encore père, mais je répondrais que je sais très-bien qu’il répugne trop à la nature d’égorger ses enfans, mais qu’il ne répugne pas moins à la nature d’obéir aveuglément aux caprices et à la volonté d’un seul homme ; et si nous nous sommes si bien accoutumés à la servitude, ce talent infâme et déshonorant ne s’accroît en nous qu’à proportion que les véritables et naturels attributs de l’homme s’anéantissent. C’est pour cela que les philosophes penseurs, chez les peuples libres, ne font aucune différence entre la vie d’un animal et celle d’un homme qui n’est pas destiné à jouir de la liberté, de sa volonté, de la sûreté de sa personne, des mœurs, et du véritable honneur : et tel doit être le sort des enfans que l’aveuglement de leurs parens a fait naître sous la tyrannie, puisque si leur père ne leur ôte