Page:Alfieri - De la Tyrannie.djvu/43

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peut-il préférer le bien de tous à son bien être particulier ?

Je ne crois pas qu’il y ait au monde un seul homme qui voulût donner à son ami, le meilleur et le plus expérimenté, le suprême arbitre de disposer de sa fortune, de sa vie et de son honneur ; et si un tel homme existait, quel ami véritable voudrait accepter un pouvoir tout à-la-foi aussi étrange, aussi dangereux et aussi odieux ? Or, ce qu’un seul homme ne confierait pas pour lui seul à son plus intime ami, tous le concéderaient pour eux-mêmes et pour leurs descendans, et le laisseraient garder par la violence à un seul, qui n’est point leur ami, et qui ne peut jamais l’être ; à un seul homme qu’ils ne connaissent point, que peu d’hommes peuvent approcher, et au quel la plupart des sujets ne peuvent même s’adresser pour se plaindre des injustices qu’ils reçoivent en son nom ? Certes, une telle frénésie n’est jamais tombée dans l’esprit d’une multitude, si ce n’est pour quelques instans et par un mouvement simultané ; et si toutefois il y a jamais eu une telle multitude assez stupide et assez ignorante pour accorder à un seul homme une si extravagante autorité, elle ne pouvait