Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.2.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
1881
1882
ARISTOTÉLISME DE LA SCOLASTIQUE


Scot, Gilles de Rome, Pierre d’Auvergne, Jean Burley, etc. Il semble donc que la préférence ait été généralement aux versions gréco-latines, qu’on les ait consultées presque universellement et qu’on n’ait eu recours aux versions venues des Arabes qu’à défaut des premières ou concurremment avec elles à cause des commentaires qui les accompagnaient.

3. Ces commentaires dénotaient une étude très habile et très profonde de la doctrine d’Aristote. Ils renfermaient des vues exactes sur la pensée du philosophe, des aperçus ingénieux, mais aussi des erreurs extrêmement dangereuses, par exemple l’absence de toute providence divine sur les individus, l’éternité du monde et de la matière, l’unité de l’âme humaine, la suppression de la vie future, etc. Voir Averroisjie. Que les scolastiques se soient inspirés des commentateurs arabes dans les questions strictement philosophiques ou scientifiques conciliaires avec la doctrine chrétienne, la chose est incontestable. Elle résulte de la simple lecture de leurs ouvrages où sont si fréquemment cités les principaux philosophes arabes, mais qu’ils se soient laissé entraîner dans les erreurs de ceux-ci, qu’ils aient accepté toutes leurs théories, qu’ils aient adopté un Aristote travesti par eux, c’est faux. La preuve en est dans les luttes vives des scolastiques contre Averroès et lesaverroïstes. « Les docteurs les plus respectés du xiiie siècle, écrit lienan, sont d’accord pour combattre l’averroïsme. » Averroès et l’averroïsme, 2e édit., Paris, 1861, p. 259. — La preuve en est encore dans le grand souci que les scolastiques ont eu de faire traduire les œuvres d’Aristote directement sur le texte original, afin de posséder ainsi l’expression la plus pure et la plus authentique possible de sa pensée.

4. En résumé, les Arabes en fournissant aux scolastiques les œuvres d’Aristote n’ont fait que leur rendre ce qu’ils avaient reçu eux-mêmes des chrétiens à l’origine. — Ils n’ont commencé à être en rapport avec la scolastique qu’au XIIe siècle ; ils n’ont donc pu avoir aucune influence sur elle dans le haut moyen âge. L’action très réelle qu’ils ont exercée plus tard a consisté à donner, avec les textes, des commentaires savants, utiles et fréquemment consultés. — Ils n’ont pu imposer à la scolastique aucune de leurs erreurs. Ils n’ont pas fait dévier l’interprétation légitime des œuvres d’Aristote, les versions gréco-latines étant là pour dénoncer les falsifications qu’ils auraient tentées. Sans eux la philosophie scolastique se serait construite certainement ; avec eux elle s’est édifiée peut-être plus tôt, elle leur doit sûrement des lumières. Mais il est faux de dire que la scolastique, avec les Arabes ou à cause des Arabes, a mal compris Aristote.

VI. Perversion de la méthode des sciences rationnelles et du dogme lui-même. — On reproche encore à la scolastique d’avoir perverti la méthode des sciences rationnelles en substituant à celle-ci l’argument absolu et aveugle d’autorité. Nous ne nous arrêterons pas à ce grief suffisamment réfuté plus haut, par ce que nous avons dit, soit des principes des scolastiques sur la valeur de l’autorité en philosophie, soit de leur conduite en face des philosophes anciens, particulièrement d’Aristote. — On ne peut davantage accuser de paresse scientifique une philosophie qui atteste la possibilité il la nécessité du progrès constant, ainsi que nous l’avons rapporté également. — Quant à l’accusation d’avoir troublé l’intelligence des dogmes, et favorisé ologiques, rien ne la combat plus effica-paroles du grand gardien des dogmes, le souverain ponlife lui-même. Dans l’encyclique jE terni Patins, Léon Mil. rapportant 1rs paroles de Sixte V. décril air lienfaits de In théologie scolastique :

i La connais ance et la pratique de cette science si salutaii ujours pu sans doute être d’un grand « ours à l’Église soit pour bien comprendre et saine ment interpréter les Écritures, soit pour lire et expliquer les Pères avec plus de sécurité et de fruit, soit pour découvrir et réfuter les erreurs et les hérésies ; mais en ces derniers jours, où déjà sont arrivés les temps dangereux décrits par l’Apôtre, quand des hommes blasphémateurs, orgueilleux et séducteurs, avancent de plus en plus dans le mal, s’égarant eux-mêmes et poussant les autres dans l’erreur, elle est très nécessaire pour confirmer les dogmes de la foi et réfuter les hérésies. » Or, ajoute-t-il : « Ces paroles semblent ne regarder que la théologie scolastique, mais il est clair qu’il faut les prendre aussi comme un éloge de la philosophie. En effet, les grandes qualités qui rendent la théologie scolastique si formidable aux ennemis de la vérité… sont dues uniquement au bon usage de la philosophie que les docteurs scolastiques, par un dessein sagement conçu, avaient coutume d’employer partout, même dans les disputes théologiques, > ; La philosophie scolastique est plus qu’utile à la théologie, elle lui est indispensable : « Les théologiens scolastiques se distinguent tout particulièrement en ce qu’ils ont uni par un intime lien la science humaine et la divine ; or, la théologie, où ils ont excellé, n’aurait certainement pas pu acquérir tant d’honneur et d’estime dans l’opinion des hommes si leur philosophie eût été incomplète, imparfaite, ou frivole… Il estabsolument nécessaire de la traiter (la théologie scolastique) à la manière grave des scolastiques, afin que concentrant en elle les forces de la révélation et de la raison, elle ne cesse pas d’être l’invincible rempart de la foi. » Aussi ce qui a fait la grandeur théologique de saint Thomas d’Aquin, c’est précisément sa connaissance de la philosophie scolastique. « Appliquant cette méthode philosophique à la réfutation des erreurs, il est parvenu à triompher seul de toutes les erreurs des époques précédentes et à fournir des armes invincibles pour vaincre celles qui surgiront dans toute la suite des temps. De plus, s’il fait nettement la distinction nécessaire entre la raison et la foi, il les unit toutes deux par un accord amical, et il a si bien ménagé leurs droits et maintenu leur dignité que la raison portée par l’aile de saint Thomas au sommet de la capacité humaine semble ne pouvoir s’élever plus haut, et que la foi ne peut plus attendre de la raison d’autres secours ou de plus puissants que ceux qu’elle trouve dans saint Thomas. »

VIL Condamnations ecclésiastiques portées contre l’aristotélisme. — La question de l’existence de l’aristotélisme en face des prohibitions de l’autorité ecclésiastique au xiiie siècle est plus délicate. Nous rapporterons les différentes sentences portées contre l’enseignement de certains livres d’Aristote, et nous dirons ensuite quelle fut sur ce point l’attitude des scolastiques, maîtres et étudiants ; car il y a lieu de distinguer, en ce problème, une situation de droit et une situation de fait.

1. En 1210, un concile de la province de Sens assemblé à Paris, sous la présidence de Pierre de Corbeil, archevêque de Sens, condamne, d’une pari, Amaury de Chartres et David de Dinant, voir Amaury de Béne, d’autre part, défend l’enseignement de plusieurs livres d’Aristote. Voici le texte de cette sentence : « Les livres d’Aristote sur la philosophie naturelle et leurscommentaires ne pourront plus être lus, soit dans les leçons publiques, soit dans les leçons privées, à Paris, sous peine d’excommunication. » …Nec libri Aristotelis de naturali philosophia ver commenta legantur Parisius publiée vcl secreto, et. hoc sub pena excommunicationis inhibemu8. Denifle - Châtelain, Chartularium unir. . Paris, 1889, t. i. p. 70. — a. Par les livres de philosophie naturelle, il faut entendre probablement non pas seulement les traités de sciences naturelles,

mais encore ceux de physique qui étaient ordinairement nés sous le même nom, et ceux de métaphysique