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AUGUSTIN (SAINT)

théologie augustinienne, que Reuter a concentré ses Augustiniche Studien (la plus savante étude récente sur Augustin, d’après Harnack). — Les controverses manichéennes l’ont aussi amené à préciser les grandes questions de l’Être divin, de la nature du mal, et on pourrait aussi l’appeler le docteur du bien, ou du bon principe de toutes choses. — Enfin, nous le verrons, le caractère même de son génie et la direction pratique, surnaturelle et divine qu’il imprimait à toutes les spéculations de sa pensée, ont fait de lui le docteur de la charité.

c) Un dernier progrès dû aux œuvres d’Augustin, est celui qu’il accomplit dans la langue théologique. Pour une grande part il contribua, sinon à la créer, du moins à la fixer définitivement. Elle lui doit une foule de ces formules lapidaires, d’une profondeur égale à la concision, que la scolastique dégagea plus tard de l’ensemble de son œuvre. Le latin d’ailleurs, plus bref, plus précis que le grec, moins flottant dans ses formes, se prêtait merveilleusement à cette œuvre : Augustin en a fait la langue dogmatique par excellence et c’est sur lui que se sont formés les Anselme et les Thomas d’Aquin. — Aussi a-t-on essayé parfois de lui attribuer le symbole pseudo-athanasien. Sans doute il est postérieur, mais Bonifas, Hist. des dogmes, t. i, p. 21, 78, et Haag, llxst. des dogmes chrét., t. I, p. 476, ne se trompaient pas, quand ils en cherchaient l’inspiration dans les formules du 73e Trinitate. Quel qu’en soit l’auteur, voir col. 2184-2186, il a connu Augustin et a puisé dans ses œuvres. C’est sans doute ce don des formules précises, aussi bien que sa charité, qui lui a fait attribuer si souvent le mot célèbre : In necessariis uni tas, in dubiis libertas, in omnibus chantas ; il n’est pas de lui, mais respire son esprit. Cf. dom Morin, dans la Revue d’hist. et de Un. relig., 1902, p. 147-149.

3. Il est le grand inspirateur de la pensée religieuse dans les siècles suivants. — Pour raconter l’influence d’Augustin sur la postérité, un volume ne suffirait pas : à l’article AuGUSTINISME, nous toucherons aux points principaux. Ici nous signalons simplement les faits en indiquant leur portée :

1 er fait : Avec Augustin le centre du développement dogmatique et théologique se déplace et d’Orient passe à l’Occident et à ce point de vue encore Augustin fait époque dans l’histoire du dog-me. « Jusque-là, remarque justement lionifas, op. cit., p. 21, l’influence prépondérante avait appartenu à l’Église grecque, l’Orient avait été la terre classique de la théologie, le grand atelier de l’élaboration du dogme. A partir d’Augustin, l’influence prépondérante tend à passer du côté de l’Occident… L’esprit pratique et réaliste de la race latine succède à l’esprit spéculatif et idéaliste de l’< trient et de la Grèce. »

2e fait : Il est également l’inspirateur, au sein de I I lise, de deux courants qui semblent contraires l’un .i I autre, la scolastique et le mysticisme. De Grégoire le Grand aux Pères de Trente, son autorité théologique, la plus haute suis contredit, domine tons les penseurs. Les représentants de la scolastique, Anselme, Pierre Lombard, Thomas d’Aquin, les représentants du msiicisme, Bernard, Hugues de Saint-Victor, Tauler, ont également fail appel à son autorité, se sont nourris de i ils et pénétrés de son esprit.

3e fait : Il n’est pas jusqu’aux courants plus modernes qui ne dérivent de lui, dans ce qu’ils ont de vérité ou de sentiment profond de la religion. De savants critiques tels que Harnack, Lehrbuch der Dogmengesch., t. iii, p. 100, etSeil./l utder Geschichte der Chris tentum, 1888, p. 13, ont appelé Augustin le premier homme moderne ; et de fait il a tellement façonné le monde latin, que c’est lui ; m fond qui ! fail l’éducation des esprits modernes. Mais sans aller jusque-là, on peut ciir t (eiie parole d’Eucken, n>. cit., p. 21 i. I le n’est peul’lie pis un paradoxe dédire que si notre temps veut reprendre et traiter

d’une façon indépendante le problème de la religion, il ne doit pas tant se reporter à Schleiermacher ou à Kant, ni même à Luther ou à saint Thomas, qu’à Augustin… Et en deçà de la religion, le monde moderne trouvera plus d’un point par où il se rattache à Augustin, du moment que, laissant de côté la forme souvent étrange, nous pénétrons jusqu’au fond des choses… Il est des points sur lesquels Augustin est plus moderne qu’Hegel et Schopenhauer. »

3° Caractères généraux de la doctrine d’Augustin.

— Nous n’en signalerons que trois : 1. Elle s’est formée progressivement dans son esprit : le docteur d’IIippone n’est pas parvenu d’un seul coup au plein développement de sa pensée. C’est par étapes, aidé souvent par les circonstances et les nécessités de la polémique, qu’il est arrivé à la précision de chaque vérité et à la vision nette du rôle de cette vérité dans l’ensemble de la révélation : Aussi exige-t-il de ses lecteurs qu’ils sachent « progresser avec lui » . L’étude des œuvres de saint Augustin dans l’ordre historique s’impose donc, si on ne veut point se méprendre, et cela s’applique tout spécialement, nous le verrons, à la doctrine de la grâce.

Mais ici encore, il y a un excès à éviter : on est exposé à trop prolonger les périodes d’hésitation ou d’erreur. Ni les jansénistes autrefois, ni les critiques protestants d’aujourd’hui n’ont su éviter cet écueil. Harnack, à propos de la christologie d’Augustin, abuse d’un aveu des Confessions, 1. VII, c. xxv. Augustin reconnaît là qu’au début il ne distinguait pas très bien la doctrine catholique de l’Incarnatiou, de l’erreur adoptienne de Photin ; il ne voyait en Jésus-Christ qu’un homme inspiré et un docteur. Harnack, Dogmengeschichte, 3e édit., t. iii, p. 121, en profite pour affirmer que ce qu’il n’avait pas saisi alors, il ne le comprit bien jamais, et que sa christologie a de profondes affinités avec celle de Paul de Samos ; tte et de Photin. Or, dans le texte des Confessiotis, les mots atiqitauto posterius limitent ce moment d’hésitation à un temps très court dont le point de départ précède même la scène de la conversion au jardin. C’est donc plutôt une étape de son retour à la foi qu’une phase de sa pensée déjà chrétienne. Dès 388 il exprime dans le De libéra arb., 1. I, c. xi, n. 5, P. L., t. xxxil, col. 1224, l’idée la plus catholique du Fils de Dieu engendré égal à son Père. Quant aux prétendues affinités persistantes avec Photin, elles sont démenties par les textes les plus formels, par ceux-là même qu’allègue le critique allemand. De peccal. mer., 1. II, n. 27, P. L., t. xliv, col. 168 ; De corr. et (//., c. xi, 30, ibid., col. 934.

2. Cette doctrine est essentiellement théologique, et a Dieu pour centre. — a) Sans doute Augustin est un grand philosophe, et Fénelon a pu dire de lui dans ses Lettres sur divers suji’ts il)— métaphysique i’l de religion, lettre iv, Œuvres, édit. Lebel, 1820, t. i, p. 393 : « Si un homme éclairé ramassait dans les livres de saint Augustin les vérités sublimes que ce grand homme y a répandues comme par hasard, cel extrait, fait avec choix, serait très supérieur aux Méditations de Descartes. » Ce recueil a même été fait. Voir plus loin. Il y a donc une philosophie de saint Augustin, Mais chez lui, elle est si int iineiiient liée à la théologie, que l’on ne peut les séparer, Aussi n’étudierons-nous pas à part le théologien et le philosophe : aussi bien celui-ci intéresserait-il moins les lecteurs de ce dictionnaire. Augustin n’est pas un homme que l’on puisse couper en deux. Il n’; i jamais eu pour lui qu’une vérité, et cette

vérité il la saisil, il l’| mbrasse de toute SOn : ’tme. elle est pour lui comme une émanation de Dieu et devient la lui de ^iin être. Un exemple : Augustin est un psychodes plu— profonds et des plus pénétrants, un pgycholoi ne par goût, pur passion : Noverim me, a-t-il dit après avoir dit à Dieu : Noverim te ; Dieu et l’âme,

voilà ce qu’il veut savoir, Kl de f : iit dans l’élude des

rouages si compliqués, si impénétrables de notre âme,