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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/134

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ABS. DES PÉC, THÉORIES DES RATIONALISTES MODERNES 234

mission des lapsi à la communion par les martyrs étant acquis, quelle en était la valeur en droit ecclésiastique ? Il est visible que l’évêque ne s’estime pas lié par l’initiative que les martyrs avaient prise. Il n’est pas moins certain que les martyrs avaient, suivi un usage en quelque sorte accrédité dans l’Église d’Alexandrie. Autrement ils auraient soulevé l’indignation générale du clergé : ce que l’évêque ne donne nullement à entendre. Voici donc comme on peut concevoir la pratique de cette Eglise. Les martyrs, dans un esprit de charité et de miséricorde, recevaient d’abord les lapsi dans leur cercle ; ce cercle, s’agrandissant, Unissait par comprendre une partie considérable des lidèles. Mais cette réintégration de fait dans la communauté chrétienne n’avait aucune valeur en droit, tant que l’évêque ne l’avait pas ratifiée et n’y avait point mis le sceau par une réconciliation authentique et solennelle. Le jugement de l’évêque venait, à la vérité, après celui des martyrs ; mais seul il avait la force d’une sentence ecclésiastique, canonique. Le commerce des martyrs ou des fidèles avec les lapsi repentants était un acte purement privé, qui ne prenait le caractère d’un lien réel et ofliciel, que du jour où l’évêque le consacrait de son autorité. Vraisemblablement il était rare que l’évêque cassât le jugement des martyrs, surtout quand la communauté montrait par sa conduite qu’elle y souscrivait pleinement. Mais cependant c’était son droit strict. Et si Denys d’Alexandrie demande ce qu’il doit faire en pareil cas, c’est qu’il n’y avait sans doute pas, sur ce point, de tradition bien établie dans son Eglise, ou que, pendant la période de paix religieuse qui durait depuis près de quarante années, cette tradition s’était perdue.

2. Textes de Tertullien.

Suivant Tertullien, l’Église des psychiques (entendez l’Eglise romaine) autorisait, de son temps, les martyrs, aussi bien que les évêques, à remettre les péchés. C’est la thèse qu’il soutient dans le dernier chapitre de son traité De pudipitia. Al lujam et in martyres tuos effundis liane potestatem, dit-il dans une apostrophe au pape Calliste. Nous n’avons pas à suivre ici le développement de sa thèse. Ce qu’il importe de savoir, c’est la mesure dans laquelle l’Église de Rome autorisait les martyrs à remettre les péchés. En admettant que les martyrs soient intervenus, d’une façon quelconque qui reste à déterminer, au sein des communautés chrétiennes pour la réconciliation des grands pécheurs, dus adultères aussi bien que des lapsi, doit-on croire que Tertullien n’a pas dénaturé le caractère de cette intervention ? Doit-on croire que la conduite de Rome était toute différente de celle d’Alexandrie, voire de celle de Carthage ? Nous avons vu comment on procédait à Alexandrie. Ce qui se passe à Carthage au temps de saint Cyprien va nous montrer une fois de plus que la part des martyrs dans la réconciliation des pécheurs est tout à fait distincte de celle des évêques et ne peut être confondue avec le pouvoir des clefs.

3. Textes de saint Cyprien.

On sait que, pendant les persécutions, les lapsi avaient, à Carthage, l’habitude de s’adresser aux martyrs pour obtenir d’eux une lettre de recommandation qui facilitât leur rentrée dans l’Église. Cette lettre était connue sous le nom de libellus pacis ; elle ne contenait nullement le pardon authentique du péché d’idolâtrie ; elle était purement et simplement un acte d intercession, appelant sur le coupable l’indulgence de l’Église, c’est-à-dire de la communauté tout entière, mais plus particulièrement de l’évêque. Saint Cyprien estimait que personne ne pouvait liquider, si je puis m’exprimer ainsi, la lettre des martyrs, avant que l’évêque se fût prononcé. C’est l’évêque qui décidait s’il y avait lieu d’admettre à la paix, à la communion, les lapsi munis d’un libellas pacis, les libellatici, comme on les appelait. Dans la pratique, saint Cyprien ne s’astreignit pas à une conduite uniforme. Durant la persécution, par exemple, il ajournait la ré conciliation des lapsi jusqu’à l’heure de leur mort. En d’autres temps, il fut plus miséricordieux. Mais jamais il ne permit que les martyrs, ou la communauté, ou même son clergé, portassent atteinte à son autorité ou empiétassent sur ses droits épiscopaux. Certains prêtres ayant osé, en son absence, admettre à la communion ecclésiastique, sans attendre sa décision, des lapsi pourvus d’un libellus pacis, il blâma fortement leur témérité, et les coupables durent désavouer ce qu’ils avaient fait. Cf. S. Cyprien, Epist., xv, xvi, xxi, xxii, xxiv, xxvii, lv, lvi, etc., P. L., t. iv.

// ; . conclusion. — Il est donc impossible de prouver par des textes que les martyrs aient jamais exercé proprement le pouvoir d’absoudre, ou aient seulement revendiqué le droit strict de réconcilier les pécheurs, lapsi ou autres. Les docteurs, les prophètes, en un mot, les spirituels, n’ont pas davantage possédé, sous quelque forme que ce fût, le pouvoir des clefs. La thèse des protestants allemands, Sohm et Preuschen, que nous avons exposée et disculée, est donc historiquement insoutenable.

Harnnck, Lehrbuch der Dogmengeschichte, Fribourg-en-Brisgau, 1888, part. I, l. II, c. iii, t. i, p. 367 sq. ; Sohm, Kir.chenrecht, Leipzig, 1892 ; Preuschen, Tertullians Schriften De psenitentia und De pudicitia, mit Rùcksicht auf die Bussdiscii >lin, Giessen, 1890 ; Millier, Die Bussinstitution in Karthago unter Cyprian, dans Zeitschrift fur Kirchengeschichte, 1895. p.l sq., 187sq. ; Gotz, Die Busslehre Cyprians, Ktinigsberg, 1895 ; Studien zur Gescliichte des Bussakraments, dnns Zeitschrift fur Kirchengeschichte, 1895, p. 321 sq. ; 1896, p. 541 sq. ; Schonz, Die Absolutionsgewall in der alten Kirche, dans Theologische Quartalschrift, 1897, p. 27 sq.

II. Théorie deM.Lea.. —i. exposé. — La seconde théorie que nous devons étudier a pour auteur un écrivain américain bien connu par ses études d’histoire religieuse, M. Henry Charles Lea. Il l’a exposée et soutenue dans son A History of auricular confession, 3 vol., Londres, 1896. Elle se résume en ces quelques assertions ou conclusions : 1. Les communautés chrétiennes primitives n’ont pas connu le pouvoir sacerdotal d’absoudre : aucun texte des Pères des premiers siècles ne le mentionne. — 2. La réconciliation qui marquait le terme des exercices pénitentiels n’avait, à cette époque reculée, d’effet qu’au for extérieur, et ne touchait en rien à la conscience du pécheur que Dieu seul pouvait purifier : la preuve en est que les diacres étaient parfois autorisés à réconcilier les pénitents, et que les prêtres coupables n’étaient pas soumis au rite de la réconciliation. — 3. Les Pères indiquent un nombre considérable de moyens, par lesquels les pécheurs peuvent obtenir la rémission de leurs péchés ; nulle allusion au pouvoir des clefs ; donc l’absolution sacerdotale n’était pas en usa^e dans la primitive Église. — 4. Les prières sacerdotales prononcées sur les pénitents étaient des actes de pure intercession ; les formules en témoignent, et les scolastiques, saint Thomas en tête, voire les Pères du concile de Trente, devraient le reconnaître, puisque ces formules étaient purement déprécatives, et que, selon la doctrine catholique, la formule de l’absolution, pour être valide, efficace, doit être nettement indicative.

II. discussion.

Examinons la valeur de chacune île ces assertions : 1. Est-il vrai qu’on ne trouve dans les premiers siècles aucun témoignage en faveur du pourvoir des clefs’? — Au commencement du iiie siècle, du moins, ces témoignages se rencontrent à Rome, à Alexandrie et dans l’Église d’Afrique. Nous avons vu que le pape Calliste, au grand scandale de Tertullien, revendiquait le droit d’absoudre les adultères. Vers le même temps, plus tôt peut-être, les Canons d’Hippolyte signalent une formule de consécration épiscopale qui fait allusion au « pouvoir de lier et de délier, » que le Sauveur a donné à ses apôtres, et par suite aux évêques. La même formule de consécration s’applique à l’ordination,