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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/144

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ABSOLUTION DES PÉCHÉS CONDITIONNELLE

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Il faut aller jusqu’à Jean Gerson (xve siècle) pour trouver des affirmations certaines en faveur de l’absolution conditionnelle. Le chancelier de l’université de Paris dit notamment dans son traité De schismate tollendo, Opéra omnia, Anvers, 1706, t. ii, p. 79 : « Il faut tenir ceci pour une conclusion certaine de la théologie : de même que dans beaucoup de cas, en raison des doutes ou des scrupules de la conscience, la confession peut être faite sous condition, de même aussi l’absolution peut être, dans ces cas, donnée sous condition. » Gerson répète cette affirmation dans son traité De unitate Ecclesiæ, ibid., p. 118, et dans sa réponse Sur le règlement des Chartreux, touchant la confession, ibid., p. 461. N’oublions pas qu’il écrivait au commencement du xve siècle. Au siècle suivant, le célèbre cardinal Cajetan proteste contre l’usage de l’absolution conditionnelle : « Il se trompe le prêtre qui prétend donner sous une forme douteuse ce que Jésus-Christ a ordonné d’administrer sous une forme certaine. Il faut rejeter de l’Église de Dieu cette superstition. » Summula de peccatis, Lyon, 1551, p. 3. Malgré l’anathème de Cajetan, les théologiens plus récents s’accordent à dire que l’absolution conditionnelle est valide et licite en maintes circonstances. C’est ce qu’il nous faut expliquer.

III. Validité.

La condition posée peut se rapporter an passé, au présent ou à l’avenir ; elle peut être, disent les théologiens, de prseterito, de præsenti, de futuro. Or, voici la règle qui est formulée dans le traité général des sacrements, à l’occasion de ces différentes sortes de conditions : quand l’intention conditionnelle du ministre suspend l’efficacité du sacrement, le sacrement est nul ; quand l’intention conditionnelle ne suspend pas l’efficacité, le sacrement est valide. En conséquence, la condition de futuro rend l’absolution nulle, parce qu’elle suspend l’efficacité des paroles. Ainsi serait nulle cette formule : « Je vous absous, si vous mourez avant la fin de l’année. » Et de fait, le sacrement n’existe pas actuellement, puisque le prêtre veut suspendre l’effet de l’absolution jusqu’à un événement postérieur ; le sacrement n’existera pas davantage quand l’événement se réalisera, car alors la matière et la forme du sacrement auront disparu et ne pourront plus être dites présentes.

Au contraire, les conditions de prseterito ou de præsenti n’empêchant pas l’efficacité immédiate des paroles, si la condition est réalisée, n’empêchent pas non plus la validité du sacrement. Ainsi seraient valides ces absolutions : « Je vous absous, si vous avez reçu le baptême, » ou « si vous êtes actuellement vivant » ou « si votre contrition est sincère ». La doctrine ainsi formulée est l’enseignement commun, considéré comme certain par les théologiens modernes ; on peut suivre cette doctrine en toute sûreté de conscience.

Cependant quelques auteurs sévères, entre autres Collet, Trac lattis de pœnitentia, part. II, c. vii, n. 97, Migne, Theol. cursus, t. xxii, col. 732, ont distingué dans la question qui nous occupe les conditions de fait et les conditions de droit. Ils admettent l’absolution sous une condition de fait, par exemple : « Je vous absous, si vous êtes actuellement en vie ; » mais ils rejettent l’absolution qui poserait une condition de droit, par exemple : « Je vous absous, si vos dispositions sont bonnes. » Ils estiment une telle condition incompatible avec le caractère judiciaire du sacrement de pénitence.

Y a-t-il donc opposition entre les conditions de præsenti ou de præterilo, soit de droit, soit de fait, et le caractère de sentence définitive de l’absolution ? Non, car le sens définitif de l’absolution est sauvegardé, et son caractère de sentence judiciaire reste entier.

1° Quant au sens définitif de l’absolution, n’oublions pas qu’il s’agit dans notre discussion d’une condition qui est présentement réalisée ou non. Est-elle réalisée : le prêtre veut absoudre et les péchés sont remis. N’est-elle pas réalisée : le prêtre ne veut pas absoudre et le

sacrement n’existe pas. Dans l’une comme dans l’autre hypothèse, tout est déterminé et rien ne reste en suspens. Remarquons d’ailleurs qu’il y a toujours une condition sous-entendue dans le sacrement de pénitence ; ce sacrement ne produit ses effets que si le pénitent présente de son côté les dispositions voulues.

2° Pour ce qui est du caractère judiciaire de l’absolution, disons d’abord avec Lehmkuhl, Theologia moralis, Fribourg-en-Brisgau, 1888, t. il, n. 272, p. 202, qu’il n’est pas inouï que dans "des jugements humains la sentence ait été rendue sous condition. Qu’y aurait-il à dire, par exemple, contre cette sentence : Je vous renvoie des fins de la poursuite, si, dans vos archives de famille, existe, tel document que vous alléguez’? Il ne reste qu’à vérifier l’existence du document en question. D’autre part, le jugement d’ordre surnaturel qui est rendu au saint tribunal diffère des jugements humains sous plus d’un rapport. Retenons seulement ici qu’il en dill’ère par le mode d’exécution de la sentence. Dans les jugements humains, la sentence est exécutée par des hommes qui doivent nécessairement savoir dans quel sens elle est portée ; c’est pourquoi elle ne peut dépendre d’une condition dont la vérification échapperait aux hommes. Dans le jugement divin de la pénitence, c’est Dieu qui ratifie la sentence ; il suffit donc que cette sentence soit absolue aux regards de Dieu. Or, quelle que soit la condition posée par le prêtre, Dieu sait si elle est réalisée ou non, et par conséquent la sentence est absolue aux yeux de celui qui l’exécute. Gury, Cornpendium theol. moralis, Lyon, 1875, t. ii, p. 194, n. 432 ; Lehmkuhl, loc. cit. ; Jaugey, Traclatus de sacramento pœnitenlix, Langrcs, 1877, p. 293, n. 295.

La condition doit-elle être exprimée, ou peut-elle être tacite ? Les auteurs s’accordent à dire qu’elle peut être tacite, et qu’il n’est pas obligatoire de la formuler en paroles. Marc, Inst. mor., Rome, 1889, t. ii, p. 193, n. 1663 ; Aertnys, Theol. mor., Tournai, 1893, t. ii, p. 10, n. 15.

IV. Licéité.

Du moment que l’absolution conditionnelle est valide, il est des circonstances où elle sera légitime. On ne peut cependant admettre qu’elle le soit toujours ; ce serait ouvrir la porte trop large à la négligence des confesseurs peu zélés. Voici le principe général qu’établissent les théologiens : l’absolution sera légitimement donnée sous condition, quand le confesseur jugera que cette absolution est le meilleur moyen d’assurer, d’une part, le respect dû au sacrement qui serait exposé à la profanation par une absolution sans réserve, d’autre part, le bien spirituel du pénitent qui pourrait être gravement et même absolument compromis par le refus du sacrement.

Appliquons ce principe, et recherchons les circonstances dans lesquelles le bien du pénitent exigera (cas de nécessité extrême) ou du moins légitimera suffisamment (cas de nécessité grave) l’emploi de l’absolution conditionnelle. Nous distinguons des circonstances du côté du confesseur et d’autres du côté du pénitent.

Du côté du confesseur.

1) Le confesseur ne sait plus s’il a donné oui ou non l’absolution à son pénitent. En ce cas, il l’absoudra sous cette forme : Si tu non es absolutus, ego te absolvo, etc. — 2) Il doute de sa juridiction, dans ce sens qu’il ne sait pas si en fait elle lui a été donnée, si elle a été renouvelée, s’il ne l’a point perdue par révocation ; en présence d’un cas urgent, il absoudra avec cette réserve : Si possum.

Du côté du pénitent.

1. Il y a doute si telle personne vit encore ; le confesseur emploiera cette condition : Si vivis. — 2. Sur un moribond qui ne présente que des signes équivoques ou problématiques de contrition, on dira : Si tu es disposilus. — 3. Sur un enfant ou sur un dément qui peut-être ne sont responsables d’aucun de leurs actes : Si lu ex capax. — 4. Le confesseur pourra absoudre à distance un malheureux qu’il