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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/297

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AGAPES

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AGAPES. On a coutume de désigner sous ce nom « les repas communs que faisaient les chrétiens ; à 1 origine, en union avec la célébration de l’eucharistie ; plus tard, en certaines circonstances seulement, suivant des usages qui ont varié avec les temps et avec les pays… .1. Thomas, art. Agapes, dans Dictionnaire de la Bible, t. I, col. 260. Cette définition exprime bien l’opinion reçue universellement sur les agapes. Voyons comment elle se vérifie dans les textes. Nous donnerons ensuite nos conclusions.

I. Textes.

Textes scripturaires.

Le point de départ est pris dans les reproches que saint Paul. 1 Cor., XI, 17-31, adresse aux Corinthiens. Saint Paul décrit la cène eucharistique, le rite du pain et de la coupe, purement. Sans doute, il ne pose pas l’obligation du jeûne eucharistique ; mais il entend que la cène eucharistique ne soit pas mêlée à un repas de corps. « Si quelqu’un a faim, qu’il mange chez lui, afin que vous ne vous réunissiez pas pour votre condamnation. » I Cor., XI, 34. Et encore : « N’avez-vous pas des maisons pour y manger et boire ? Ou méprisez-vous l’Église de Dieu et faites-vous honte à ceux qui n’ont rien, » en apportant de quoi manger et boire chacun pour soi à l’église ? « Que vous dirai-je ? Vous louerai-je ? En cela je ne vous loue point. » Jbid., xi, 22. Si donc il est une chose que le témoignage de saint Paul implique, c’est la condamnation de l’essai d’agape eucharistique si grossièrement tenté par les Corinthiens.

L’Épitre de saint Jude, ꝟ. 12, parlant de certains chrétiens dissolus, les accuse de suivre la voie de Caïn, l’égarement de Balaam, la révolte de Coré, et ajoute : « Ils sont des taches dans vos agapes, ot êv Tatç àyàTrat ; vnûv a-TrtLâôsç, faisant intrépidement bonne chair, CTuveufozoOfLevoi ebooeo ; , se paissant eux-mêmes : nuées sans eau poussées par les vents, arbres d’automne sans fruits, deux fois morts, déracinés, vagues furieuses, astres errants… » Jud., 11-13. Il n’est pas hors de doute que le terme àyaTrat ait ici le sens de repas que nous lui verrons donner au ive siècle par les canons de Gangres et de Laodicée. La preuve en est que la Secunda Pétri, qui dépend de l’Épitre de Jude, a rendu ce même passage sans y mettre d’agapes.

II Pet., il, 13 : Jud., 12 :

tritO.oi xai (j.âi fLo t èvrp-joî èv Taî ; àyd(.7ratç û|j.à>v

çwvteç êv rat ; àîrâTai ; ocj- « TTrtLàSe ; <tuveuio-/oij[jlevoi iû>’i <T’jvEUd)y_o’Jfievoi v ; xîv. àç&êioç.

Oublions que le Codex Alcxandrinus et le Codex Ephrsemi lisent à7rdcTai ; au lieu de àyiuaiç dans le texte de Jude ; supposons que la Secunda Pétri a eu l’intention expresse de dire autre chose que Jude ; il restera à se demander si le terme à-fârcat de Jude désigne nécessairement un repas. Or Jude se sert deux ibis du mot à-, v.-v-, , V. 2 et 21, au sens premier d’amour ou charité, et il se sert deux fois de mots semblables, ꝟ. 8 : SôSja ; , y. 13 : oùayù’/a. ; , au pluriel emphatiquement pour le singulier, en telle sorte que le passage en question de Jude pourrait se traduire : « Ils sont des taches dans votre charité, o Érasme voulait qu’on traduisit : In dileclionibus vestris ou inter charitales vestras.

Jusqu’à la fin du IIe siècle.

Dans la Didaché, ix-x, Funk, Doclrina duodecim apostolorum, Tubingue, 1887, p. 24 sq., figure une description de l’eucharistie, nulle part il n’y est parlé d’agapes. Il faut bien reconnaître que l’eucharistie se célébrait sans aucun repas concomitant, et que la Didaché ne connaît point cl repas distincts, à moins de dire, comme certains critiques l’ont proposé sans succès, que, dans la Didaché, ce qui paraît être l’eucharistie est en vérité l’agape, et que c’est l’eucharistie que la Didaché passe sous silence ! Saint Ignace d’Antioche écrit aux Romains, vii, 3, Punk, Opéra Patrum apostolicorum, Tubingue, 1887, [>. 220 : « Je ne savoure pas une nourriture de corruption, ni les saveurs de cette vie : je veux le pain de Dieu, qui est la chair de Jésus-Christ né de la race de David ; je veux boire son sang, qui est charité incorruptible, » àyo7tï ; acpôap-ro ; . Il écrit aux Smyrniotes, vil, 2, ibid., p. 240 : « Défense sans l’évêque de baptiser ou de faire la charité, » àydcrcyiv uoteiv, dans le même sens où il écrivait aux Philadelphiens, iv, ibid., p. 226 : « Appliquez-vous à avoir une unique eucharistie, car une est la chair de Notre-Seigneur Jésus-Christ, un le calice comme un est son sang : un l’autel comme un l’évêque avec le presbyterium et les diacres, mes coserviteurs. » Dans l’épître aux Smyrniotes, vi, 2, ibid., p. 238, saint Ignace écrit au sujet des chrétiens qui se tiennent à l’écart de la communauté : « Ils n’ont point souci de la charité, xyiTrt]ç, ni des veuves, ni des orphelins, ni des affligés, ni des captifs, ni des libres, ni de qui a faim ou soif. » De ces textes et de plusieurs autres analogues, on peut conclure que le mot àyin-i) n’était pas pour saint Ignace le vocable propre d’une institution, institution dont on ne trouve pas trace dans ses epitres. Ce mot pour lui a le sens moral de charité et c’est dans ce sens qu’il l’applique à l’eucharistie, « charité incorruptible ». On estimera donc que M. Zahn voit plus de choses qu’il n’y en a dans les textes, quand il conclut que saint Ignace témoigne que de son temps l’agape était rattachée à l’eucharistie.

La lettre de Pline à Trajan, x, 96, fournit-elle un témoignage au sujet de l’agape ? Les chrétiens apostats interrogés sur les usages de la secte répondent : …liane fuisse summam vcl culpm sum vel erroris, quod essent solili stato dieante lucem convenire carmenque Christo quasi deo dicere secum invicem… ; quibus peraclis morem sibi discedendi fuisse, rursusque ad capiendum cibum, promiscuum tamen et innoxium ; quod ipsum facere desisse post edictum meum, quo secuudum mandata tua hetœrias esse vetueram. Ce sont des apostats qui parlent après avoir « vénéré l’image des dieux et maudit le Christ ». Que désigne dès lors ce cibus promiscuus et innoxius" ? Renan traduit : « Repas ordinaire et parfaitement innocent, » et il identifie ce repas avec les agapes. Mais alors ces apostats n’avouent pas que dans la réunion ante lucem ils se partageaient le pain et le vin eucharistiques, et cette réticence est d’autant moins vraisemblable que ces apostats n’avaient plus de raison de cacher le rite le plus sacré de leur foi, alors surtout que ce rite suffisait par sa forme de repas en commun, si simple que fût ce repas, à constituer le culte en sodalitas ou helœria prohibée. La réticence que suppose M. Ramsay est inadmissible. Quant à dire avec M. Zahn que les chrétiens de Bithynie ne faisaient qu’un de l’agape et de l’eucharistie, c’est supposer précisément ce qui est en question, l’existence de l’agape.

Saint Justin nous a laissé dans sa première apologie, 65 sq., P. G., t. VI, col. 428 sq., une description détaillée des réunions chrétiennes : il présente une défense des chrétiens, il plaide leur innocence en révélant tout le Secret de leurs réunions, et il ne dit pas un seul mot de l’agape. On est obligé de convenir que, saint Justin n’ayant pas pu passer l’agape sous silence, l’agape n’était pas une institution existant à Rome vers 150, pas plus qu’elle n’existait à Antioche vers 1 10, ou en Bithynie en 112. Le silence des apologistes du IIe siècle est pareil à celui de saint Justin. La calomnie populaire qui accusait les chrétiens de se livrer à des festins de Thyeste et à des promiscuités d "Œdipe visait l’eucharistie et les réunions eucharistiques : les apologistes n’ont pas parlé d’autre chose et Minucius Félix, xxxi, pense à l’eucharistie lorsqu’il écrit non sans ironie : Convivia non tarir tu » ? pudica colimus, sed ci sobina : nec enim indulgemus epulis aut convivium mero ducimus. P. L., t.iu, col. 337.

Il faut venir à la fin du IIe siècle pour recueillir des témoignages fermes au sujet de l’agape.