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AGONIE DU CHRIST. INTERPRÉTATION ET CONSÉQUENCES
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que la place originelle du passage fut contestée de très bonne heure ? Peut-être même que la suspicion dont il 1 été l’objet se rattache à quelque réaction contre ce culte excessif des anges que saint Paul condamne dans son Épitre aux Colossiens, ii, 18. Il sera resté plus ou moins errant jusqu’à l’époque assez tardive où il se fixa définitivement dans saint Luc, et avec raison, puisque sa terminologie l’y rattache nettement. De la sorte s’expliquerait mieux l’état de l’appareil critique qui se présente ici avec un caractère fort complexe. Bien que les trois grandes familles de textes se trouvent représentées des deux cotés, il semble cependant que le texte occidental et le texte syrien, dans leur majorité, l’attribuent à saint Luc, tandis que le texte alexandrin l’omet. Quoi qu’il en soit de son explication, le fait lui-même reste solidement établi ; l’étude critique des documents écrits donne le droit de conclure que Luc, XXII, 43, 44, fait partie intégrante et authentique du texte évangélique. Pour les raisons théologiques qui militent en faveur de la même conclusion voir le mot Vulgate.
Scrivener, A plain [ntrod. to the criticism of Oie new Test., t. il, p. 353-356 ; Westcott et Hort, The new Test, in the orig. greek, Append., p. 64-67 ; Cornely, Introd. in U. T. libros sacras, t. iii, p. 133 ; J. P. P. Martin, Introduction à la critique textuelle du Nouveau Testament. Partie pratique, t. iii, in-4o (lithograph.), Paris, 1884-1885.
A. Durand.
II. AGONIE DU CHRIST. Interprétation et conséquences théologiques du récit.
I. {{|Interprétation.}} —
1° Apparition de l’ange. —
La manière dont s’exprime le texte grec laisse entendre que Jésus vit réellement un ange et par conséquent que celui-ci avait revêtu une forme visible. Il fortifia l’humanité du Sauveur : son âme pour qu’elle supportât la tristesse dont elle était accablée, et aussi son corps, qui éprouvait les effets de cette immense douleur. Jésus n’avait pas besoin de ce secours et il ne pouvait rien apprendre de l’ange. Aussi quelques Pères ont-ils cru que cet ange «’-tait venu rendre hommage à sa force d’âme plutôt que le fortifier. Mais la plupart estiment qu’il le fortifia véritablement en lui suggérant les pensées propres à adoucir sa tristesse et réconforter la partie inférieure de son âme. Voir Suarez, In lll* m partem, q. xii, a. 4, comment., n. 2, qui, tout en souscrivant à ce sentiment, croit que le Sauveur ne laissa point pénétrer cet adoucissement dans son âme, puisque le texte sacré le représente tombant en agonie, aussitôt après l’apparition de l’ange.
2° Agonie. —
Ce terme àytovca ne se trouve point
dans d’autres passages de la sainte Écriture. Il désignait,
chez les écrivains profanes, les luttes des exercices
gymnastiques, ou encore l’émotion et l’angoisse des
lutteurs avant le combat, ou en général les agitations
violentes de l’âme. Dans saint Luc, il exprime l’angoisse
éprouvée par Jésus dans l’appréhension de sa passion.
Schleussner, Ntivnm Lexicum inNovum Testamentum,
Leipzig, 1801, v° Agonia. Il traduit donc la même tristesse
que Jésus faisait connaître à ses apôtres, avant sa
prière, lorsqu’il leur disait d’après saint Matthieu, XXVI,
37, et saint Marc, xiv, 34 : « Mon âme est triste jusqu’à la
mort. » Seulement cette tristesse paraît s’être transformée
en une plus grande douleur encore, après que Jésus
eut formulé son acceptation de toutes les souffrances
qu’il devait endurer, ainsi que saint Luc le rapporte, xx,
42 : Pater si vis, transfer calicem islam a me ; verumiamen
non mea voluntas sed tua fiât. Saint Matthieu
et saint Marc avaient parlé de la tristesse qu’il (’prouvait
déjà avant celle acceptation, saint Luc désigne sous le
nom d’agonie l’angoisse qu’il (’prouva après s’être soumis
à boire le calice. Il laisse entendre que cette angoisse
fut alors plus grande qu’auparavant, non seulement par
le nom d’agonie qu’il lui donne, mais encore par l’observation
qu’il fait que, dans cette agonie, Jésus pria
plus longuement, ou, suivant le grec, avec plus d’insistance :
ce qui suppose que sa tristesse était plus vive
qu’au commencement de sa prière. Nous avons d’ailleurs
des indices de l’immensité de son angoisse, dans l’intervention
de l’ange qui vint le fortifier et dans la sueur
de sang qui fut l’effet de cette terrible agonie. L’intensité
de la douleur intérieure du Sauveur s’explique
suivant saint Thomas, Suni. theol., III a, q. xlvi, a. 6,
par plusieurs raisons :
1. en raison de la cause de cette
douleur : cette cause fut d’abord le poids de tous les
péchés pour lesquels il satisfit par ses souffrances ; ce fut
ensuite en particulier la faute des Juifs et des autreshommes
qui contribuèrent à ses tourments et à sa mort,
surtout de ses disciples qui se scandalisèrent de sa passion ;
ce fut aussi la perte de la vie du corps dont la
nature a horreur ;
2. en raison de la délicatesse de son
âme, faite pour sentir très vivement toutes les peines ;
3. en raison de la pureté de sa douleur, qu’il voulut
supporter en entier, sans qu’elle fût diminuée par aucune
des considérations qui adoucissent nos souffrances et en
distraient notre attention ;
4. en raison de la manière
absolument volontaire dont Jésus accepta cette douleur,
dans toute son immensité, telle qu’elle devait être pour répondre
à son fruit, c’est-à-dire à notre rédemption du péché.
3° Sueur de sang. —
Théophylacte, archevêque de Bulgarie, In Luc, xxii, 44, P. G., t. cxxiii, col. 1081, dit que l’évangéliste, en parlant d’une sueur de sang, comme on parle de larmes de sang, a voulu simplement dire que Jésus avait transpiré abondamment. Euthymius Zigabenus, In Matth., xxvi, 44, P. G., t. cxxix, col. 685, prétend aussi qu’il n’est pas question ici d’une sueur de sang, ni même d’une sueur rouge, mais seulement d’une sueur comparable à du sang par son épaisseur. Quelques catholiques et un assez grand nombre de protestants (cf. Fillion, Essais d’exégèse, Paris, 1884, p. 119, reproduction d’un article publié sous le pseudonyme de Faivre, dans La controverse, 1881, p. 203), ont suivi cette interprétation. Ils s’appuyent sur l’expression ùxjv., comme des gouttes de sang, employée par l’évangéliste : expression qui indiquerait, suivant eux, une simple comparaison. Mais les mots ebarsî, <Lç marquent aussi le caractère réel des personnes ou des choses auxquelles on les applique. Qn peut le voir dans saint Matthieu, XXI, 26, dans saint Jean, i, 14, et plus spécialement dans saint Luc, xv, 19 ; xvi, 1 ; Act., Il, 3. Tel est le sens du mot ùxtei dans le passage qui nous occupe ; car une comparaison de la sueur avec le sang à cause de son épaisseur ou de son abondance serait chose inouïe et ne vient à rimagination.de personne. La manière dont parle saint Luc : Sa sueur devint, iyivvto, comme des gouttes ou des caillots, 6pd|j.ëoi, de sang, a"|xaToç, font penser à tout lecteur que cette sueur prit la couleur rouge et même la nature du sang. C’est donc là le sens naturel du texte. D’ailleurs si l’évangéliste avait voulu faire une simple comparaison, il aurait dit au nominatif singulier que cette sueur découlait sur la terre, decurrens ; mais il se sert, d’après la Vulgate, du génitif decurrentis in terram qui se rapporte au sang, sanguinis, et d’après le grec du nominatif pluriel, xataSatvovTe ; , qui se rapporte aux gouttes de sang, OpépXot. C’est une nouvelle preuve que la sueur du Christ qui découlait à terre (’tait au moins mêlée de sang. Aussi est-ce ainsi que presque tous les saints Pères et les exégëtes ont entendu ce passage. — Quelques-uns ont attribué celle sueur sanglante à une cause miraculeuse, mais la plupart y ont vu un effet naturel de l’angoisse si cruelle que le Sauveur ressentait. L’article qui suit montrera que ce sentiment s’accorde de tous points avec les données de la science moderne.
II. Conséquences théologiques. —
De ce que Jésus a été fortifié par un ange et de ce qu’il a été accablé de tristesse jusqu’à suer du sang, il se dégage deux conséquences théologiques principales, l’une dogmatique, l’autre morale.