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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/35

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ABEL — ABÉLARD (VIE ET ŒUVRES D’)

le chef du troupeau ; comme juste, il préfigure le Christ innocent qui, en sa qualité de prêtre, a offert un sacrifice supérieur aux sacrifices de la loi. Israël jaloux a fait périr le Christ, et le sang de Jésus crie vengeance contre les Juifs déicides. Parmi les œuvres de saint Chrysostome on a imprimé un morceau apocryphe, De sacrificiis Caini, de donis Abelis, etc., P. G., t. lxii, col. 719-722. dont l’auteur remarque dans Abel plusieurs traits de ressemblance avec le Christ. De même que le Sauveur fut le chef de ceux qui ont été régénérés après la loi, et le premier juste ; ainsi Abel a été le prince de la justice parmi les premiers hommes. Il fut aussi le premier qui ait combattu pour la justice et qui ait été couronné par Dieu. En cela encore, il a été l’image du Christ qui a souffert pour la justice. Le sang d’Abel a beaucoup d’affinité avec le sang du Christ. Ils enseignent au monde entier la piété. Ils crient tous deux, l’un en suppliant, l’autre en accordant le pardon. Abel, qui était innocent, meurt le premier, portant la peine du péché de son père coupable ; le Christ meurt pour expier les fautes du genre humain tout entier. Un commentaire de l’Apocalypse, inséré parmi les œuvres de saint Ambroise, In Apoc. exposit., P. L., t. xvii, col. 813, contient un tableau analogue. Caïn est la représentation du peuple juif ; Abel, celle du Christ. Le sacrifice de Caïn symbolise les sacrifices temporels du judaïsme ; le sacrifice d’Abel, en tant qu’il est l’offrande des prémices du troupeau, symbolise les apôtres, qui sont les premiers-nés de l’Église ; en tant qu’il est l’offrande de la graisse des victimes, la foi des apôtres. Le Christ a offert à son Père les apôtres et leur foi. Caïn, meurtrier d’Abel, est la figure des Juifs qui font mourir Jésus-Christ et qui, en punition de ce crime, sont devenus un peuple maudit, vagabond sur la terre. L’abbé Rupert, De Trinitate et operibus ejus, In Genes., l. IV, c. ii, iv et v, P. L., t. cxlvii, col. 326, 328-330, a appelé Abel le premier témoin de Jésus-Christ. Son sacrifice, qui vaut par la foi, est la figure de la passion. Tout ce qu’a fait Abel est une parabole du Christ. Pasteur de brebis, il représente le bon pasteur, tué par Anne et Caïphe. Le sacrifice de Caïn est la pâque juive, qui est morte et inanimée ; le sacrifice d’Abel est la pâque chrétienne, qui contient le véritable Agneau de Dieu offert sous les apparences du pain et du vin. Le sacrifice eucharistique est gras ; il est esprit et vérité. Abel, assassiné dans la campagne, annonce Jésus-Christ qui a souffert en dehors des portes de Jérusalem. Enfin, saint Brunon d’Asti, évoque de Segni, Exposit. in Gen., P. L., t. clxiv, col. 172-173, a reconnu dans Abel, pasteur, le Christ dont nous sommes les brebis et que les Juifs, ses frères, ont fait cruellement mourir. Caïn est l’image du peuple juif ; Abel, celle du Christ crucifié en dehors de la ville ; son sang qui crie, celle du Christ qui demande pardon. Il crie encore, pour représenter l’Église qui garde le souvenir de la passion. Les théologiens et exégètes modernes n’ont pas oublié l’enseignement de l’antiquité sur Abel, figure du Christ.

Signalons seulement Bossuet, Élévations sur les mystères, 8e semaine, 4e élévation ; Œuvres complètes, Besançon, 1836, t. iii, p. 58-59, et Mgr Meignan, Les prophéties contenues dans les deux premiers livres des Rois, Paris, 1878, p. lv, et L’Ancien Testament dans ses rapports avec le Nouveau, De l’Éden à Moïse, Paris, 1895, p. 195-201.

E. Mangenot.


2. ABEL, ABLE ou ABBLE Thomas, chapelain de Catherine d’Aragon, première femme de Henri VIII. Dans l’affaire du divorce, il prit le parti de la reine et publia en 1534, pour la défendre, un traité, De non dissolvendo Henrici et Catharinæ matrimonio. Devenu suspect à Henri VIII, il fut d’abord impliqué dans le procès d’Élisabeth Barton, dite la sainte fille de Kent, qui fut condamnée à mort pour avoir mal parlé du roi. Plus tard, il ne voulut pas souscrire à l’acte de suprématie et combattit sur ce point les prétentions du roi. Mis en jugement, il fut condamné à mort et exécuté à Smithfield, le 30 juillet 1540.

Lingard, Histoire d’Angleterre, trad. de Boujoux, Paris, 1834, t. vi ; Michaud, Biographie universelle, Paris, 1811 ; Feller, Biographie universelle, Paris, 1838, art. Abble.

V. Oblet.

ABÉLARD, ABAILARD, ABEILLARD, ABULARD ou ESBAILLARD Pierre, en latin Abailardus, Abaielardus, Baiolensis, Bailardus, Peripatelicus Palatinus, etc., philosophe et théologien, fut, par son enseignement, ses écrits, sa méthode et même ses erreurs, un des esprits les plus influents de la première moitié du xiie siècle (1079-1142). Nous étudierons dans un premier article sa vie et ses œuvres, dans un second, sa doctrine et ses propositions condamnées par Innocent II, dans un troisième, son école et ses disciples.

I. ABÉLARD (Vie et Œuvres d’). — I. Vie. II. Œuvres. III. Critique.

I. Sa vie. — Né en Bretagne dans la seigneurie du Palet (en latin Palatium) à quatre lieues de Nantes, Pierre avait hérité de son père Bérenger, gentilhomme instruit, un goût très vif des lettres et, tout jeune encore, selon l’usage du temps, il parcourut les provinces en quête d’école de dialectique. Le surnom d’Abélard parait dû à une plaisanterie de Thierry de Chartres qui lui enseignait les mathématiques. Cf. Clerval, Les écoles de Chartres au moyen âge, 1895, p. 192. Il eut pour maîtres en philosophie les chefs des deux écoles rivales: Roscelin d’abord, le fougueux nominaliste qui, condamné à Soissons en 1092, après un court exil en Angleterre, avait repris ses leçons dans la collégiale de Sainte-Marie de Loches ; puis, vers 1100 à Paris, Guillaume de Champeaux, chef des réalistes, alors dans tout l’éclat de sa gloire. On admira partout les succès du jeune Breton, sa subtilité merveilleuse, sa facilité dans toutes les branches du trivium et du quadrivium, sans en excepter la musique où il excellait.

Mais bientôt se révéla son esprit inquiet et présomptueux. Il se posa en rival de Guillaume et engagea contre lui sa première lutte. A vingt-trois ans, il fonde une école à Melun, résidence de la cour (1102), puis la transporte à Corbeil, et revient enfin à Paris harceler Guillaume jusque dans sa retraite de Saint-Victor, où, dans des disputes publiques, il l’oblige, raconte-t-il lui-même, Historia calamilatum, P. L., t. clxxviii, col. 119, à modifier sa doctrine. Cette victoire sur celui qu’on nommait « la colonne des docteurs » illustra le jeune maître qui ne tarda pas à fonder à Sainte-Geneviève une école fameuse. Mais, les triomphes dialectiques ne lui suffisant plus, il va chercher la science sacrée à Laon où l’attire l’immense réputation d’Anselme. Il ne trouva, dit-il encore, « qu’un arbre chargé de feuilles sans fruits, un foyer d’où s’échappait beaucoup de fumée et point de lumière. » Ibid., col. 123. Les inimitiés qu’il souleva, en élevant une chaire rivale en face de celle d’Anselme, le chassèrent de Laon ; mais il n’en partit que pour recevoir à Paris, avec le titre de chanoine (sans être dans les ordres), la direction de la grande école de Notre-Dame (1113). Alors commence pour l’écolâtre de trente-quatre ans une période de gloire dont l’éclat, attesté par tous les contemporains, parait fabuleux. Cf. de Rémusat, Abélard, t. i, p. 44. De l’Angleterre, de la Bretagne, « du pays des Suèves et des Teutons, » de Rome même accouraient jusqu’à cinq mille auditeurs, parmi lesquels on compta plus tard dix-neuf cardinaux, plus de cinquante évoques ou archevêques et un pape (Célestin II), sans parler du célèbre tribun Arnaud de Brescia.

Ces succès inouïs enivrèrent Abélard : l’orgueil indompté qui l’avait fait nommer « le rhinocéros » le poussa à des nouveautés téméraires ; en même temps il s’abandonnait aux plus honteuses passions, ainsi que