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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/480

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ALPHONSE DE LIGUORI (SAINT)

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l’àme remplie d’un dégoût mortel, il se sent sur le point de défaillir, il se demande un instant s’il n’y a pas témérité à persister dans son entreprise. Le souvenir du Sauveur au jardin des Olives le ranime, il se jette à genoux et fait le vœu de se dévouer pour la vie à l’œuvre des missions, dût-il rester absolument seul. Un tel héroïsme désarma l’enfer et le calme se rétablit dans cette âme généreuse. Bientôt, de nouveaux compagnons vinrent occuper la place des déserteurs, et leur chef ne songea plus qu’à reprendre son œuvre avec une ardeur nouvelle. Le but de l’Institut fut alors fixé avec une entière précision : on s’appliquera exclusivement aux missions et travaux de même genre, les membres feront les vœux simples de religion, auxquels ils ajouteront le vœu et le serment de persévérance. L’exercice de l’apostolat, comme la pratique des vertus, devra porter l’empreinte de l’imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Alphonse était bien l’homme qu’il fallait pour former cet ordre de missionnaires, et rien mieux que ses exemples ne devait en assurer la prospérité. De 1732 à 1745, il est toujours sur la brèche, prêchant sans interruption, opérant des prodiges de conversions, en même temps qu’il est entre les mains de Dieu l’instrument de nombreux miracles.

Les premiers compagnons d’Alphonse étaient prêtres, et il avait suffi de se mettre à leur tête et de payer d’exemple pour en faire des missionnaires. Pour perpétuer l’œuvre il devenait nécessaire d’accepter dans la congrégation des aspirants au sacerdoce et, dès lors, il fallait songer à leur donner une solide éducation théologique. La science dans laquelle un missionnaire doit exceller est surtout la théologie morale ; sans elle, il ne peut être qu’un guide aveugle conduisant les âmes aux précipices. Au temps d’Alphonse, cette science était bien dévoyée, aussi ne voulut-il pas que les siens allassent puiser à des sources impures. Il se mit donc à composer lui-même une Théologie morale dont l’apparition, on peut le dire, fut un événement pour l’Église. Malgré bien des attaques dictées par l’esprit de parti, ce livre fut si chaudement approuvé, si hautement recommandé, si fréquemment désigné par le saint-siège comme traçant le sentier du juste milieu à travers le dédale des opinions théologiques, qu’il est devenu le code le plus accrédité des confesseurs. On a pu en dire, qu’à moins de l’étudier, il fallait renoncer à avoir une science convenable de la théologie morale. Pour répondre à des besoins particuliers le saint auteur en fit deux abrégés d’une étendue différente, connus sous les noms de Homo apostolicus et de Confesseur des gens de la campagne. Nous aurons à en reparler. Au cours de ces publications, il suscita une polémique qui eut un grand retentissement. Le point en litige était une question fondamentale en morale : il s’agissait de savoir quelle obligation nait pour la conscience, de lois plus ou moins douteuses. Alphonse se montra aussi habile polémiste que profond philosophe. Il écrivit alors plusieurs opuscules remarquables par la souplesse du stjle et la vigueur de la logique. Ses conclusions furent universellement adoptées.

A partir de cette époque (1750) sa vocation d’écrivain était décidée. Il ne renonça pas complètement aux missions, mais il consacra la meilleure partie de son temps à la composition de livres destinés à assurer le fruit des missions et à guider les siens dans le salutaire ministère de l’apostolat. Nous en donnerons plus loin la nomenclature. Ces ouvrages ont tous pour objet un but pratique : la méditation des vérités éternelles et des mystères de notre sainte religion ; les obligations des vertus chrétiennes, surtout de la charité qui commande en reine à toutes les autres ; la grande loi de la prière, clef de voûte du salut ; le rôle miséricordieux de Marie dans l’œuvre de la rédemption. Il trace des règles sûres aux âmes appelées à une vie plus parfaite dans des traités admirables sur la dignité et les devoirs du prêtre et sur l’état religieux.

La congrégation religieuse fondée par Alphonse avait été approuvée par Benoit XIV dès le 25 février 1749, elle allait s’affermissant en doctrine et en sainteté tandis que des fondations nouvelles (tendaient sa sphère d’action. Elle était cependant loin d’avoir les faveurs du pouvoir ; tout au contraire, les vexations étaient continuelles et le glaive de la suppression était suspendu sur sa tête. C’est grâce au crédit, à l’habileté et à la sainteté de son fondateur qu’elle put échapper à la destruction. Malgré tous les obstacles accumulés, un grand bien se faisait et l’infatigable Père était heureux de voir le succès avec lequel ses enfants arrachaient les âmes à l’enfer.

Un événement inattendu vint changer le cours de cette vie si féconde, se partageant entre les travaux apostoliques et la composition de livres admirables : un ordre du pape l’arracha du milieu de sa chère famille pour le placer sur le siège de Sainte-Agathe-des-Goths. Il en prit possession l’âme navrée, le II juillet 1762. C’était le commencement d’un gouvernement réformateur, dont le but invariable était la fidèle observation des lois canoniques concernant les différentes classes de personnes. Le nouvel évêque y mit sa fermeté et sa douceur ordinaires, les résultats qu’il obtint furent surprenants. La ferveur refleurissait dans les couvents, le zèle dans le clergé, la science dans son séminaire dont la réputation s’étendit au loin.

Cette époque de la vie d’Alphonse correspond aux attaques les plus violentes du philosophisme conjuré contre l’Église. Le saint évêque se fit polémiste et écrivit ses magnifiques traités sur la vérité et l’évidence de la foi, la divinité de l’Église, les droits de son chef suprême. Il publia encore quelques autres ouvrages du même genre, sur lesquels nous aurons à revenir.

L’infirmité cependant s’était appesantie sur le vénérable vieillard, et le chagrin de se trouver loin de sa chère congrégation devenait de plus en plus cuisant. Après plusieurs tentatives inutiles, il réussit à faire agréer sa démission par Pie VI le 9 mai 1775. Il put enfin se retirer parmi les siens à Pagani, et là, sans accepter pour lui le moindre privilège, il voulut être traité comme le plus humble des religieux. Sa vie, dès lors, ne fut plus qu’une suite ininterrompue de douleurs ; son corps était comme broyé par la souffrance et son âme était en proie à toute sorte d’angoisses. Les persécutions continuelles auxquelles sa famille religieuse était en butte venaient encore ajouter à tous ses chagrins : les tracasseries gouvernementales se multipliaient d’une façon effrayante et le décret de dissolution paraissait imminent. Victime des exigences du pouvoir civil, il fut dénoncé à Borne comme rebelle au saint-siège et encourut la disgrâce du pape. C’était la lie du calice, il eut l’héroïsme de l’épuiser comme le roi des martyrs, et comme lui, il triompha par la croix.

Il mourut saintement à Pagani le 1° août 1787. De nombreux miracles s’opérèrent par son intercession. Par un privilège tout spécial, la cause de sa canonisation fut instruite avant les délais légaux ; le procès marcha avec une rapidité surprenante, à tel point que le même avocat Amici, qui fit les premières démarches, put assister à la publication du décret de la canonisation. Le décret d’introduction de la cause, conférant au serviteur de Dieu le titre de vénérable, est du 4 mai 1796. L’héroïcité des vertus fut déclarée le 7 mai 1807 ; la béatification eut lieu à Saint-Pierre le 15 septembre 181(1 et la cérémonie de la canonisation fut célébrée le 26 mai 1839. Le 23 mars 1871 il fut proclamé docteur de l’Église.

Faisons ici une remarque. A l’occasion de ces différents procès, les ouvrages de saint Alphonse furent, autant que ses vertus, soumis plusieurs fois à l’examen