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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/538

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AME. SA SPIRITUALITÉ. DÉMONSTR. THÉOLOGIQUE

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Saint Basile s’élève à Dieu, l’être incorporel par essence, en méditant sur l’âme incorporelle, invisible, qui réside en nous : « Par l’âme incorporelle qui habite en toi, comprends que Dieu est incorporel… Crois que Dieu est invisible, lorsque tu considères ton âme ; car elle non plus ne peut èlre aperçue par des yeux corporels. Elle n’est en effet ni colorée, ni douée de forme, ni empreinte d’aucun caractère corporel ; mais elle n’est connue que par ses opérations. » Homil. in illud, Attende tibi ipsi, n. 7, P. G., t. xxxi, col. 216.

Plus fort et plus incisif, le passage suivant de saint Grégoire de Nysse révèle une pensée plus maîtresse d’elle-même. D s’agit de la ressemblance et de la parenté de l’âme avec Dieu. Dieu ne tombe sous aucune des catégories matérielles : « ni corps, ni figure, ni forme, ni qualité, ni masse, ni poids, ni lieu, ni temps. » L’âme se reconnaît aux mêmes caractères. « Puisque tel est le modèle, il est naturel que l’esprit qui est à sa ressemblance se reconnaisse aux mêmes caractères ; il est donc sans matière ; il ne peut être vu ; il n’est perçu que par la pensée. » De morluis oratio, P. G., t. xlvj, col. 509. Dieu est d’une nature intellectuelle, immatérielle, supérieure à l’étendue et aux sens. L’âme, créée à son image, reflète les mêmes traits essentiels : elle est dépouillée de matière, invisible, accessible seulement à la réflexion pure. D ne faut pas confondre le mens, voOç, qui est le sommet de l’âme, avec les sens. Dans la multiplicité hétérogène des sensations, le mens, simplicité vivante, introduit l’unité de sa pensée, sans toutefois s’y absorber. « L’esprit est simple par nature ; on n’y peut mettre aucune composition. » De honùnis opificio, c. xi, P. G., t. xliv, col. 153. Fidèle à l’esprit de Platon, saint Grégoire de Nysse creuse un abîme entre le corps et l’âme. D’après saint Jérôme, l’âme guide le corps comme un cavalier des chevaux fougueux, elle le dirige comme le maître son disciple. Moins nobles sont les comparaisons de saint Grégoire. L’âme, prisonnière de la tourbe des éléments, et incapable de s’accorder, si je puis ainsi parler, avec cette populace, soupire après sa délivrance ; elle ne constitue qu’à regret l’unité de l’être humain. Le mens ne réside pas dans le corps, il ne l’entoure pas non plus ; il est en lui et autour de lui, d’une manière qui dépasse notre intelligence. Il agit par les organes, sans perdre rien de sa simplicité. Op. cit., c. xv, P. G., t. xlix, col. 176.

Saint Ambroise établit l’immatérialité de l’âme comme saint Grégoire de Nysse, en la comparant à Dieu. Epist., xxxiv, ad Horuntianum, 3, P. L., t. xvi, col. 1074.

Saint Jean Chrysostome la fonde sur la notion philosophique de l’incorporel. « Il y a dans l’homme une substance incorporelle et immortelle qui l’emporte sur le corps de toute la supériorité que l’incorporel doit avoir sur le corporel. » In Gen., homil. xiii, 3, P. G., t. Lin, col. 103.

Le grand concert spiritualiste des Pères atteignit sa plus haute expression avec saint Augustin. L’âme, par la noblesse de sa nature, surpasse les créatures corporelles, autant que Dieu surpasse l’immensité de l’univers. Il est inutile d’instituer tant d’hypothèses sur son essence profonde. Douter c’est se connaître, car douter c’est penser. « L’âme a conscience du doute qui l’obsède au sujet de sa propre nature, mais son doute n’est-il pas levé ? Tout ce qu’elle sait, elle le sait tout entière : si donc elle a conscience de se rechercher, elle se trouve dans sa recherche, elle se connaît tout entière. Qu’elle cesse donc, qu’elle cesse de s’imaginer corporelle ; elle ne pourrait l’être sans le savoir, alors que le ciel et la terre, visibles aux yeux du corps, lui sont moins connus qu’elle-même. » De Genesi ad litteram, l. VII, c. xix, xxi, P. L., t. xxxiv, col. 364, 366 ; cf. De Trinitate, l. X, c. x, n. 13, li, P. L., t. xlii, col. 1046. Saint Augustin dit ailleurs que l’âme comprend et aime, qu’elle se souvient d’avoir compris et aimé : mémoire, pensée et amour, c’est toute l’âme, image de Dieu. De Trin., l. X, c. x, n. 13, ibid. Contrairement à un certain nombre de Pères qui craignaient d’égaler l’âme à Dieu, en lui attribuant l’immatérialité, notre docteur déclare qu’on peut la comparer à la divinité créatrice ; qu’elle enveloppe, comme elle, plus de réalité que le monde changeant déployé dans l’espace. L’imperfection de ses facultés la lient bien au-dessous de l’infini. De anima, l. IV, c. xii, n. 18, P. L., t. xliv, col. 534. Descartes n’ajoutera rien d’essentiel aux lumineuses méditations du De Trinitate ou du De quantitate animæ. Pressé par les questions de la princesse palatine, il ne s’expliquera que d’une façon très sommaire sur le rapport de l’âme et du corps. Saint Augustin avait laissé inachevée la théorie de l’union de l’âme et du corps ; il s’employa surtout à distinguer ces deux substances. Créée peut-être avant le corps, l’âme, d’après l’évêque d’IIippone, tend à s’unir à lui d’un instinct naturel et profond, analogue au vouloir vivre de l’être vivant. Elle le pénètre, mais ne s’y diffuse pas à la manière d’un fluide. Elle ne se localise nulle part : on la reconnaît à son action. De Gen. ad Ut., l. VII, c. xxi, P. L., t. xxxiv, col. 345. Cf. ibid., c. x-xx, xxvii ; Epist., clxvi.c. ii, n. 4, P. L., t. xxxiii, col. 721.

Saint Némésius et Claudien Mamert (v » siècle) ne poussèrent pas l’analyse plus loin. Le premier insiste sur la substantialité et l’absolue simplicité de l’âme humaine. « Qu’on ne dise pas qu’elle est dans le corps, mais plutôt que le corps est en elle : les moindres atomes la possèdent tout entière, elle leur est présente par une sorte d’inclination spirituelle, comme Dieu est présent au monde, sans être mesuré ni contenu par lui. » De natura /tominis, ii, 3, P. G., t. xl, col. 536. Le second réfute l’opinion assez répandue qui prétend que l’âme est incorporelle en elle-même et corporelle par rapport à Dieu. Immatérielle en elle-même, l’âme l’est, à plus forte raison, pour Dieu. De statu animæ, iii, 10, P. L., t. lui, col. 771. Son traité se termine par le tableau suivant : deus : summum bonum sine qualilate, movetur sine tempore et loco, judicat et non judicatur ; spimtus : magnum bonum cum qualitate, movetur in tempore, sine loco, judicat et judicatur ; corpus : bonum cum qualitate et quantitate, movetur localiter et temporaliter, nec judicat et judicatur. Ibid., c. xv, col. 779, 780.

Vers le VIe siècle, commencent les discussions philosophiques proprement dites : commentaires aristotéliciens, traités de logique, encyclopédies du savoir. Les docteurs enseignent dans les écoles monacales et capitulaires : Boèce, Capella, Bède, Isidore de Séville, Cassiodore. Les scolastiques, en christianisant Aristote, comme les Pères avaient christianisé Platon, achèveront le solide et harmonieux édifice de la philosophie catholique au moyen âge. Le concept de la spiritualité qui évolue d’une manière si remarquable depuis saint Justin jusqu’au grand évêque et docteur d’Hippone, se purifiera peu à peu, au milieu des scories de la philosophie païenne, de tout élément matériel, et recevra de l’Ange de l’école une formule précise et féconde.

IV. Documents ecclésiastiques. —

Les papes et les conciles ont d’abord affirmé la spiritualité de l’âme, contre les hérétiques, en définissant que Jésus-Christ a pris la nature humaine tout entière, et, par conséquent, une âme raisonnable et un corps de chair. Le symbole de saint Athanase, rédigé â la fin du Ve siècle, compare l’unité du Christ à l’unité de l’homme : Dieu et homme, le Christ est un ; chair et âme raisonnable, l’homme est un. Sicut anima rationalis et caro unus est homo : ita Deus et homo unus estCliristus. Denzinger, Encldridion symbolorum, n. 136. La distinction de l’âme rationnelle et du corps charnel est encore rappelée, à propos de l’humanité de Jésus-Christ, par le VIe concile œcuménique, en 630 : Deum vere et hominem vere, eumdemex anima rationali et corpore. Denzinger, op. cit., n. 237,