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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/65

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ABRAHAM (VOCATION D’)

vinrent jusqu’à Haran, au nord de la Mésopotamie, ils y séjournèrent et Tharé y mourut. Gen., xi, 31, 32. A cet endroit de la Genèse, l’émigration de Tharé et de son fils est racontée comme un fait naturel, dont les motifs ne sont pas indiqués, sans qu’il soit parlé d’aucune intervention divine. S’il n’en était question qu’en ce passage seulement, on pourrait conclure qu’elle a eu lieu sans un ordre exprès de Dieu, et uniquement par une disposition particulière et sous la direction de la providence. H. J. Crelier, La Genèse, Paris, 1889, p. 153. « Sous quelle impulsion Tharé et sa famille quittèrent-ils la contrée d’Ur Kasdini ? Dieu leur inspira de chercher des pâturages plus abondants pour leurs troupeaux ; de fait, il voulait rapprocher Abraham de la terre de Chanaan. » Card. Meignan, L’Ancien Testament dans ses rapports avec le Nouveau, De l’Éden à Moïse, Paris, 1895, p. 309. Ailleurs, toutefois, l’Écriture attribue explicitement cette émigration à l’intervention divine. Jéhovah lui-même rappela plus tard à Abraham qu’il l’avait fait partir d’Ur. Gen., xv, 7. Il dit aux Israélites par la bouche de Josué qu’il a emmené leur père Abraham des contrées de la Mésopotamie dans la terre de Chanaan. Josué, xxiv, 3. La Chaldée n’était, en effet, qu’une portion de la Mésopotamie. A la restauration du culte mosaïque à Jérusalem, après la fin de la captivité des Juifs à Babylone, les lévites, résumant les bienfaits divins accordés à leur nation, affirmèrent dans une prière au Seigneur qu’il avait lui-même choisi Abraham et l’avait tiré d’Ur de Chaldée. II Esd., ix, 7. Dans ce passage, la leçon latine : De igne Chaldæorum correspond à Ur Kasdim, « la ville des Chaldéens. » Elle traduit le nom propre, Ur, en le faisant dériver de la racine sémitique s’ôr, « feu. » Cf. F. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., Paris, 1896, t. i, p. 418. Achior, le chef des Ammonites, apprit le même fait à Holoferne et il lui dit que Dieu ordonna aux ancêtres des Juifs de quitter le pays de la Chaldée et de venir habiter à Haran, Judith, v, 9. Enfin, le diacre saint Etienne, dans son discours au sanhédrin, affirma expressément que le Dieu de gloire apparut à Abraham en Mésopotamie, avant qu’il demeurât à Haran, et lui donna l’ordre de sortir de la terre des Chaldéens. Act., vii, 2-4. En présence d’affirmations aussi nombreuses et aussi positives, il semble nécessaire d’admettre qu’Abraham reçut de Dieu à Ur en Chaldée l’ordre de quitter cette ville. Après un séjour prolongé à Haran, Tharé étant mort, Dieu ordonna de nouveau à Abraham de se diriger vers le pays de Chanaan. Gen., xii, 1. Philon, De Ahrahamo, dans Opera, in-fol., Paris, 1640, p. 362, admet deux vocations d’Abraham : « Obéissant de nouveau à un oracle, dit-il, cet homme aimable part de nouveau pour une seconde émigration, non plus d’une ville à une autre ville, mais vers un pays désert où il menait une vie errante. » De leur côté, pou raccorder les divers passages de l’Écriture, saint Augustin, De civitate Dei, VI, xv, 2, P. L., t. xii, col. 495-496, et saint Jean Chrysostome, In Gen., homil. xxxi, 3, P. G., t. liii, col. 285-286, ont abouti à la même conclusion, qui est acceptée par de bons commentateurs modernes. J. T. Beelen, Comment. in acta apostolorum, Louvain, 1850, t. i, p. 118-119 ; J. V. Van Steenkiste, Actus apostolorum, 4e édit., Bruges, 1882, p. 125 ; H. J. Crelier, Les Actes des apôtres, Paris, 1883, p. 79-80 ; T. J. Lainy, Comment. in librum Geneseos, Malines, 1881, t, ii, p. 2 ; F. de Hummelauer, Comment. in Genesim, Paris, 1895, p. 363. Cependant, suivant la remarque de Mgr Lamy, d’autres exégètes ne reconnaissent qu’une seule vocation, faite à Abraham à Ur ; ils voient dans le récit de Gen., xii, 1, une prolepse et traduisent le verbe hébreu par le plus-que-parfait : « Le Seigneur avait dit à Abraham. »

II. Objet.

Quoi qu’il en soit du double fait de la vocation d’Abraham, Dieu commanda au saint patriarche de quitter non seulement le lieu de sa naissance, la ville d’Ur, et sa patrie, la riche et opulente Chaldée, où sa famille était établie et où il trouvait de gras pâturages pour ses troupeaux, mais encore sa parenté et la maison de son père. Gen., xii, 1. Il lui imposait ainsi un grand sacrifice, dont les circonstances accumulées dans le récit biblique font ressortir le mérite. Abraham obéit généreusement à l’ordre divin. Une première fois, il quitta avec son père la ville des Chaldéens ; il y laissa son frère Nachor et n’emmena avec lui que Sara, sa femme, et Lot, son neveu. Gen., xi, 31. Une seconde fois, sur l’appel de Dieu, après la mort de Tharé, il s’éloigna encore de sa patrie et de ses parents et sortit d’Haran, où il avait fait quelque séjour. En lui imposant de tout abandonner, patrie, famille, maison paternelle, Dieu ne lui indique pas le terme de son émigration ; il lui fait connaître seulement la direction qu’il doit suivre dans sa lointaine pérégrination. Plein de foi dans la parole de son Dieu, Abraham dirige ses pas vers le pays de Chanaan, qui devait être le lieu de son héritage, mais qui ne lui était pas désigné comme le point d’arrêt de son voyage. Jéhovah ordonnait d’aller vers la terre qu’il montrerait, Gen., xii, I, et Abraham partit, sans savoir où il aboutirait. Hebr., xi, 8. Les Pères ont admiré et célébré en termes éloquents la foi et l’obéissance d’Abraham. S. Clément de Rome, I Cor., x, Funk, Opera Patrum apostolicorum, 2e édit., Tubingue, 1887, t. i, p. 72-74 ; S. Ambroise, De Abraham, I, ii, 3, P. L., t. xiv, col. 421 ; S. Chrysostome, De beato Abrahamo oratio, n. 1, P. G., t. l, col. 737-738 ; id., In Gen., homil. xxxi, n. 36, t. liii, col. 286-290 ; S. Cyrille d’Alexandrie, De adoratione in Spiritu et veritate, I, P. G., t. lxviii, col. 168-169 ; Basile de Séleucie, Orat., vii, n. 1, P. G., t. lxxxv, col. 104. Abraham était déjà parvenu dans la terre de Chanaan, quand Dieu lui révéla qu’elle était le terme de son voyage. Toutefois, il ne devait pas la posséder lui-même ; la possession en était destinée seulement à sa postérité. Gen., xii, 6-9. De fait, Abraham ne fit que traverser en nomade la terre promise à ses descendants, et il n’y eut d’autre propriété que son tombeau qu’il acheta d’Éphron à la mort de Sara. Gen., xxiii, 3-20. Aussi saint Etienne a-t-il pu dire que Dieu ne donna à Abraham, au pays de Chanaan, ni héritage, ni même la place suffisante pour poser le pied, Act., vii, 5, et saint Paul a célébré la foi du patriarche qui l’a fait habiter dans la terre de la promesse comme sur une terre étrangère, sous des tentes, avec Isaac et Jacob, héritiers de la même promesse. Hebr., xi, 9.

III. Raisons.

On a indiqué plusieurs motifs différents pour lesquels Dieu a fait sortir Abraham de sa patrie et de la maison paternelle.

Raison religieuse.

Pour préserver Abraham de l’idolâtrie et faire de lui l’ancêtre du peuple choisi. Depuis leur dispersion, les descendants de Noé avaient formé des tribus et des peuples distincts et en s’écartant les uns des autres, ils oubliaient les traditions primitives et le Dieu qui s’était révélé à nos premiers parents. La notion du vrai Dieu s’obscurcissait de plus en plus ; son culte était remplacé par celui des fausses divinités et des idoles, et la vraie religion était sur le point de disparaître de la face de la terre. Saint Épiphane, Hær., i, 6, P. G., t. xli, col. 188, a recueilli une ancienne tradition d’après laquelle l’idolâtrie aurait commencé à se répandre parmi les hommes au temps de Sarug. A l’origine, dit-il, les hommes n’avaient pas poussé la superstition jusqu’à rendre un culte aux statues de pierre, de bois, d’or ou d’argent ; les images n’étaient d’abord qu’un moyen d’exciter la dévotion des humains à l’égard des faux dieux. Quelle que soit la valeur de ce renseignement, à cause du polythéisme qui dominait partout à L’époque d’Abraham, Dieu résolut de conserver le dépôt delà révélation et de la vraie foi au moins chez un peuple, qui serait spécialement consacré à son culte. C’est pourquoi