Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/699

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
1335
1332
ANSELME

1340

Homme-Dieu seulement, et que donc tout ce que nous croyons du Christ apparaît comme nécessaire.

L argumentation d’Anselme revient à ceci : d’une part, le péché, comme offense de Dieu, exige, pour être dignement expié, une satisfaction infinie ; d’autre part, Dieu ne pouvait convenablement ni pardonner sans satisfaction, ni laisser l’homme sans réparation (c’est-à-dire le ciel sans un complément nécessaire pour les anges tombés). Mais ni Dieu ne saurait expier et satisfaire, ni aucune créature le faire dignement. Donc il fallait un Dieu homme.

Anselme, on le voit, semble vouloir prouver la nécessité absolue de l’incarnation. Nous reviendrons sur ce point. Signalons ici ce que les Allemands nomment la théorie anselmienne de la satisfaction. On s’est ingénié à en chercher les origines qui dans le droit germanique, taxant, selon les offenses, les amendes et les peines — cela est-il si exclusivement germanique ? — qui dans Yacceplilalio du droit romain, qui dans une combinaison des idées romaines avec les idées germaniques. Rien ne justifie ces conclusions, d’ailleurs si divergentes. La notion de satisfaction vicaire est au fond même du christianisme ; Anselme, suivant sa méthode, en fit la théorie. Il en trouvait tous les éléments dans les idées courantes, dans le dogme même. Il lui reste l’honneur de les avoir groupés en système pour la solution d’un grand problème théologique, d’avoir dégagé et mis dans la circulation des explications à la fois justes et pieuses, simples et profondes, sur la malice infinie du péché, sur l’insuffisance de toute créature à l’expier, sur la suffisance admirable de l’expiation par l’Homme-Dieu.

Il faut noter, au début du Cur Deus homo, I. I, c. iiv col. 367, l’insistance à combattre l’opinion d’après laquelle c’est au démon plutôt qu’à Dieu qu’aurait été payée la rançon de l’homme. C’est Boson qui parle, mais on voit par la Méditation, xi, col. 764, qu’il exprime la prnsée d’Anselme. D’après cette opinion, mise en avant par Origène et déjà rejetée par saint Grégoire de Nazianze, cf. Schwane, t. ii § 35, le démon aurait eu une sorte de droit sur l’homme, le droit du vainqueur sur le vaincu. On prête souvent la même doctrine aux Pères ; et, de fait, plus d’un parmi eux, sans la tenir au fond, parle à peu près comme s’il la tenait. Il est curieux que dans la controverse, entre Abailard et saint Bernard, sur ce sujet, il ne soit jamais question de saint Anselme. Cf. S. Bernard, Tractatus de erroribus Abselardi, c. v, n. 11, P. L., t. clxxxii, col. 1062. Bernard avait-il lu le Cur Deus homol

Le Cur Deus homo a été édité à part, par H. Læmmer, Berlin, 1857 ; par O. Fridolin Fritsche, Zurich, 1868 et 1886 ; à Londres, chez Nutt, 1885, et chez Grimth, 1898 (avec un choix de lettres).

10. De concept uvirginali et deoriginalipeccato^ol.tôl, 461. — Dans le Cur Deus homo, 1. II, c. xviii, col. 425, Anselme, en expliquant que le Christ ne pouvait contracter le péché originel, donnait une raison, et en réservait une autre, à discuter ailleurs. Ce fut l’occasion du présent livre où il est montré que le Christ en naissant d’une vierge échappait par là même à la loi du péché originel. Mais Anselme ne se contente pas de traiter ce point particulier, il examine à fond la question même du péché originel et de sa transmission. Plusieurs de ses explications sont admirables de précision et de profondeur : saint Thomas n’a pas mieux dit. Mais, faute de se rendre compte avec la netteté suffisante de la nature de l’élévation primitive et de la justice originelle, à laquelle il veut appliquer sa définition de la justice : recliludo voluntatis proplcr se ipsam servata, plus d’un point reste obscur et embarrassé. Sur l’elïet du baptême, notamment, Anselme en est réduit à employer le langage que l’Église doit condamner un jour dans Baius ; non pas qu’Anselme ait l’erreur de Baius,

mais il n’a pas vu dans toute sa netteté la vérité contraire à cette erreur.

11. De concordia præscientise et prédestinât ionis neenon gratise Dei cum libero arbitrio, col. 507-542. — Trois questions difficiles, au dire du saint auteur : il les avait déjà rencontrées sur sa route et il en avait dit quelques mots très nets, où il parlait à peu près comme Augustin, mais plutôt comme Augustin, défendant le libre arbitre contre les manichéens ou lespriscillianistes, que comme Augustin revendiquant contre les pélagiens et les sémipélagiens les droits de la grâce et de la prédestination.

Anselme était content de son traité, et il nous le dit avec cette simplicité charmante qui, chez lui comme chez saint Thomas et saint Augustin, accompagne le génie et sauvegarde l’humilité : « Je pense pouvoir terminer ici ce traité sur trois questions difficiles que j’ai commencé en comptant sur le secours divin. Si j’y ai dit quelque chose qui satisfasse le chercheur, je ne me l’attribue pas ; car non ego, sed gratia Dei mecum. Je dis cela, car si, au milieu de mes recherches sur ces questions, quand mon esprit allait çà et là pour trouver les réponses de la raison, on m’eût donné celles qui sont ici écrites, j’aurais remercié, car j’eusse été satisfait. Puis donc que ce que j’ai pu en voir, à la lumière de Dieu, m’a beaucoup plu ; sachant que d’autres aussi seraient heureux si je l’écrivais, j’ai voulu donner gratis à leur demande ce que j’ai reçu gratis. » Q. iii, c. xiv, col. 540-542.

12. Méditations, col. 709-820. Prières, col. 855-1016. — Parmi ces méditations et ces prières, il en est assez dont l’attribution est certaine pour que nous puissions parler des prières et des méditations d’Anselme. Les critiques n’ont qu’une voix pour louer ces cris de l’âme, si sincères, si profonds, si éloquents ; les protestants, qui s’attendent toujours à ne trouver dans la prière catholique que formalisme vide et sans vie, n’en reviennent pas de voir Anselme si intime avec Dieu, avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, épanchant toute son âme, criant miséricorde, louant et remerciant, tantôt tout à l’espérance du ciel et au dégoût de la terre, tantôt tout à l’amour. Les Élévations de Bossuet sont plus intellectuelles et plus objectives ; Y Imitation est généralement plus calme, moins passionnée ; pour avoir quelque chose d’analogue à cette œuvre d’Anselme, c’est aux Confessions d’Augustin qu’il faut aller ou à l’admirable prière qui ouvre les Soliloques, c’est aux Élévations de sainte Thérèse. Ce qu’il faut relever dans un dictionnaire de théologie, c’est comment, chez Anselme, comme chez Augustin, la spéculation intellectuelle et la prière du cœur s’unissent et se donnent la main. Déjà leProslogion nous a montré cette spéculation priante ou, si l’on aime mieux, cette prière spéculative. Comment les mêmes idées qui remplissent l’esprit du penseur nourrissaient le cœur du saint et devenaient d’ardentes ell’usions devant Dieu, on peut s’en faire une idée en comparant, par exemple, le Cur Deus homo avec la méditation onzième. De redemptione humana. Lui-même nous le fait entendre quand il dit : Fac, precor, Domine, me gustare per amorem quod gusto per cognitionem ; senliam per affectum quod senlio per intellectum. Médit, xi, col. 769.

Les Méditations (sans les Oraisons) ont été éditées à part, après Gerberon, à Rome, par le card. d’Aguirre, 2e édit., 1697 ; à Cologne en 1851 ; à Liège en 1859, par M « r Malou, avoc une préfacera Censure de Gerberon, et l’opuscule De çuatuordecim beatitudinibus. Elles ont été traduites en français (avec les Ortiitons), par H. Denain, 2 vol., Paris, 1848.

13. Opuscules divers. — On achève d’y voir et l’influence d’Anselme et les multiples aspects de son riche talent. Ses deux lettres opuscules à Walram sur l’usage du pain azyme et sur les diversités liturgiques montrent combien il avait à la fois de fermeté et île douceur conciliante, de sagesse pratique et de largeur d’esprit. En