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ANSELME
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la voie d’Anselme. Ailleurs, il semble dire que le sage, qui sait le sens du mot Dieu et du mot être, sait par là même que Dieu est et ne peut être conçu comme n’étant pas. Sum. theol., I a, q. xvii, t. xvii, p. 62. Mais il ne s’exprime pas clairement. Cf. q. XIX, m. II, p. 68. Henri de Gand parle à peu près de même, et n’est pas plus clair. Sum. quæst. ordin., I part., a. 22, q. ii, ad 3um, Paris, 1520, fol. 131-132.
Saint Thomas rejette l’argument. Sum. theol., I », q. H, a. l, ad.2um ; cf. 1 V Sent., 1. I, dist. III, a. 2, ad4um ; Super Bœlh., De Trinit., q. i, a. 3, ad 6 am ; Quæst. disp., de veritate, q. x, a. 12, ad 2 ura ; Cont. gent., 1. I, c. x, II. (Le P. Ragey ne veut pas que saint Thomas ait eu en vue l’argument même de saint Anselme. L’argument de saint Anselme, p. iv-vn, p. 88-134). Gilles de Rome (Aigidius), tout en se servant du passage d’Anselme pour montrer que nul ne saurait nier’^directement l’existence de Dieu (car dès qu’on conçoit Dieu, on le conçoit comme existant), ne semble pas prendre l’argument comme prouvant Dieu. IV Sent., I. I, dist. III, q. Il ; cf. q. m. Scot commence par montrer que l’argument d’Anselme suppose la possibilité de l’être parfait, ce qui, dit-il, n’estpasévident du premiercoup (ildit même : ce qui ne se prouve pas a priori) ; et il essaie de le colorer, comme il dit, en apportant des raisons en faveur de cette possibilité. IV Sent., 1. I, dist. II, q. ii n. 31-32, Paris, 1893, t. iivi p. 478 ; cf. n. 14, p. 418. Le nonimalisme, qui rejetait toute démonstration de Dieu, ne pouvait évidemment accepter l’argument ontologique.
Denys le Chartreux semble y revenir en se rangeant sur ce point à côté de saint Bonaventure ; Tostat aussi, si l’on en croit Recupito, De Deo uno, q. xviii, Rome, 1636.
Parmi les scolastiques qui l’admettent, il faut ranger encore : Vasquez, In primam partent, disp. XX, c. iv ; Antoine Perez, In I part., disp. I, c. iv sq. ; le cardinal d’Aguirre, Theol. S. Anselmi, part. I, tr. II, disp. XII ; Viva, Cursus theol., I part., disp. I, q. I, a. 34, n. 15, Padoue, 1712, et, selon Arriaga, De Deo, disp. II, sect. ii beaucoup « d’Espagnols modernes ».
/L DESCARTES ; PARTISANS ET ADVERSAIRES. — I.DeS cartes. — Descartes reprit sans le dire — et fût-ce aussi sans le savoir ? — l’argument d’Anselme. Il le donne d’abord dans le Discours de la méthode, quatrième partie, p. 44, Œuvres philosophiques de Descartes publiées par Aimé Martin, Paris, 1852. Il y revient dans la Cinquième méditation, p. 84, 85. Dans les Réponses aux premières objections, il le ramène à ce syllogisme : « Ce que nous concevons clairement et distinctement appartenir à la nature… de quelque chose, cela peut être dit ou affirmé avec vérité de cette chose ; mais, après avoir cherché ce que c’est que Dieu, nous concevons clairement et distinctement qu’il appartient à sa… nature, qu’il existe ; donc alors nous pouvons affirmer avec vérité qu’il existe. » Ibid., p. 104. Cf. Réponses aux secondes objections, où est affirmée de plus la possibilité de Dieu. Ibid., p. 117 et 118 ; cf. aussi Raisons qui prouvent l’existence de Dieu… disposées d’une façon géométrique. Proposition première, ibid., p. 122 ; Réponses aux cinquièmes objections (celles de Gassendi), Des choses qui ont été objectées contre la cinquième méditation, p. 208 ; Principes de la philosophie, I re part., n. 14-17, p. 291, 292. Tous ces témoignages ne permettent pas le doute sur la pensée de Descartes. Il faut cependant noter trois points. D’abord Descartes reconnaît que, dans l’argument anselmien tel qu’il est proposé par saint Thomas, I a, q. ii a. 1, ad 2um, « il y a une faute manifeste en la forme, » et il essaie d’en distinguer le sien. Réponse aux premières objections, ibid., p. 104. Ensuite, il n’admet pas la valeur de l’argument ainsi proposé : « S’il n’implique point que Dieu existe, il est certain qu’il existe : mais il n’implique point ; donc, etc. » Réponses aux secondes objections, ibid.,
p. 118. Pourquoi ? Parce que « ce mot il implique est pris en deux divers sens », ou relativement à la seule possibilité interne, ou relativement à la possibilité à la fois interne et externe. Mais il tient pour l’évidence de la possibilité interne, ou non-implicance du concept. Enfin, pour avoir au juste la pensée de Descartes et juger de la valeur de son argument, il faut savoir ce qu’il entend par l’idée de Dieu en nous ; car c’est là le fond même de la question. Sur ce point, outre les endroits cités, cf. la Méditation troisième, passim. et notamment p. 73, 76, 77 ; les Réponses aux troisièmes objections (celles de Hobbes), objection 5e, p. 128, et objection 7e, p. 129 ; les Réponses aux quatrièmes objections (celles d’Arnauld), De Dieu, p. 148 ; Réponses aux cinquièmes objections (celles de Gassendi), Des choses qui ont été objectées contre la troisième méditation, p. 201 sq. ; Lettre à M. Clerselier (réponses aux instances de Gassendi), p. 212 ; Lettre 78, mai 1644, ibid., p. 636.
2. Autres partisans.
Les cartésiens suivirent le maître, souvent en mêlant à la preuve, comme lui-même le faisfit parfois, des éléments d’un autre ordre : l’idée d’infini ne pouvant venir que de Dieu, intuition de l’objet dans l’idée. Ainsi Malebrancbe, Recherche de la vérité, 1. IV, c. xi, § 2 et 3, édit. de Genoude, Paris, 1837, t. i, p. 153 sq., après avoir exposé la preuve d’après Descartes, croit ce nécessaire d’y ajouter » l’intuition de Dieu dans l’idée de Dieu, de sorte que l’argument est pour lui analogue au fameux Je pense, donc je suis. C’est ce qu’il dit en propres termes dans le Deuxième entretien sur la métaphysique, §5, t. ii p. 9 ; cf. 8e Entretien, §1, t. ii, p. 50. — Fénelon fait la même chose, Traité de l’existence de Dieu, IIe part., c. ii3e preuve. — LeP.Lamy, bénédictin, évita cette confusion, et nous lui devons une des meilleures expositions de l’argument ontologique. Mémoires de Trévoux, janv.-févr. 1701. Mais en octobre 1742, les mêmes Mémoires inséraient un Éclaircissement qui remettait dans l’argument l’ontologisme de Malebranche.
3. Adversaires.
Si les amis furent nombreux et ardents, les adversaires ne manquèrent pas.
Gassendi nia énergiquement la valeur de la preuve, et ce fut entre Descartes et lui, entre « l’esprit et la chair », une vive et longue polémique, où a sa bonne part la question de l’idée de Dieu et de sa valeur probante. On peut voir les objections de Gassendi parmi les œuvres de Descartes, édition citée, p. 165 sq. ; ses instances n’y sont pas, mais seulement la réponse de Descartes, dans la lettre à Clerselier, p. 212.
Locke ne veut pas, dit-il, examiner la valeur de la preuve ; mais il tient pour « évident qu’il y a des gens qui n’ont aucune idée de Dieu ». De l’entendement humain, 1. IV, c. x, § 7, Paris, 1839, p. 392.
III. LEIBNITZ.
Leibnitz admit d’abord l’argument : Devitabeata, part. III, n. 4. Vite, il y trouva « un vide à remplir », car la possibilité de l’être parfait y était supposée ; elle avait besoin de preuve. En 1684, dans les Méditations sur la connaissance…, il insistait pour montrer que l’idée que nous en avons n’est pas une preuve. Œuvres philosophiques de Leibniz, édit. P. Janet, Paris, 1866, t. ii, p. 516, 517. Plus tard, il essaya diverses preuves de cette possibilité. Il remarque d’abord qu’ « on a droit de la présumer… de sorte que cet argument métaphysique donne déjà une conclusion morale démonstrative ». Nouveaux essais de l’entendement humain, 1. IV, c. x, § 7, dans l’édition P. Janet, t. i, p. 460-462.’Ailleurs, il tente une démonstration en prouvant que « si l’être de soi est impossible, tous les êtres par autrui le sont aussi ». Extrait d’une lettre de la démonstration cartésienne de l’existence de Dieu du P. Lami, dans les Mémoires de Trévoux, octobre 1701 (ci-dessous), dans l’édition P. Janet, t. ii p. 568, 569. Mais il sortait par là de l’argument ontologique. Il indique une preuve directe dans Discours sur la démonstration de l’exis-