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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/87

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ABSOLUTION DES PÊCHES D’APRES L’ECRITURE SAINTE

tous les apôtres, Matth., xviii, 18 ; 2° celui où ce pouvoir leur est conféré. Joa., xx, 21-23.

I. La promesse.

Promesse à saint Pierre.

Pierre ayant confessé que Jésus était le Messie et le Fils de Dieu, reçoit de lui la promesse de trois prérogatives : il sera le fondement de l’Église, il en aura les clefs, il liera et déliera efficacement sur terre en vue du ciel.

Les deux dernières seules, Matth., xvi, 19, ont rapport au sujet actuel.

Et tibi clabo claves regni cselorum. Jésus se sert ici d’une locution symbolique dont le sens est bien connu : donner à quelqu’un les clefs d’une maison, c’est l’en constituer le propriétaire, ou du moins l’intendant de celui qui en reste le maître. L’usage biblique est absolument conforme à cette interprétation. Sobna, le préposé infidèle du Temple (ou du palais royal), étant remplacé par Eliacim, c’est à celui-ci que le Seigueur « donnera la clef de la maison de David ; et il ouvrira et personne ne fermera ; et il fermera et personne n’ouvrira ». Is., xxii, 22. Le Christ est dit avoir « les clefs de la mort et de l’enfer », Apoc, i, 18, parce qu’il est le maître de la vie et de la mort. Cf. Apoc, ni, 7 ; ix, 1 ; xx, 1 ; Luc, XI, 52.

Pierre sera donc investi de l’autorité suprême dans le royaume messianique : il en sera le chef, le législateur, le juge ; et il aura tout spécialement le pouvoir d’admeltre dans le royaume ou d’en exclure ceux qui le méritent. Or le principal, et dans un sens le seul obstacle à l’entrée des hommes dans le royaume des cieux, c’est le péché. Voilà pourquoi le précurseur a tant insisté sur la nécessité de la conversion et de la pénitence pour avoir accès dans le royaume messianique. Pœnitenliam agile, appropinquavit enim regnum cselorum. Matth., iii, 2, 8, 11 ; Luc, ni, 3, etc.

Il est donc nécessaire de conclure que le pouvoir de remettre les péchés, c’est-à-dire d’enlever cet obstacle à l’entrée dans le ciel, est renfermé dans le pouvoir des clefs promis à saint Pierre.

Promesse soit à saint Pierre, soit aux apôtres.

Jésus ditensuiteà Pierre, Matth., xvi, 19 : Et quodcumque ligaveris super terram, erit ligatum et in cœlis et quodcumque solveris super terram, erit solutum et in cselis. Plus tard, il adressa les mêmes paroles à tous les apôtres réunis : Quæcumque alligaveritis, etc. Matth., xviii, 18.

Les mots ligare et solvere, Xûstv et 6hiv, -dh,’âsai et mtf, sdrâh, signifient au sens propre « charger quelqu’un de liens », Judic, xv, 13 ; Ezech., iii, 25, et 1’ « en délivrer ». Is., xiv, 17 ; Job, xxxix, 5 ; Ps. ci, 21.

Ces expressions avaient aussi une signification métaphorique, ton, Dan., vi, 8, 9, 16 ; Num., xxx, 3, 10, signifie : imposer une obligation. Comme l’ont démontré Lightfoot, H or se liebraicæ, Opéra omnia, Rotterdam, IliiSO, t. ii, p. 336 sq., et Buxtorf, Lexicun clialdaicum, talmudicum et rabbinicum, Bâle, 1609. Elles étaient très usitées pour les rabbins : dans les controverses au sujet des interprétations de la Loi, les uns « liaient », c’est-à-dire déclaraient une chose défendue, les autres u déliaient », c’est-à-dire la disaient permise. On sait que ces interprétations des scribes avaient souvent force de loi. Matth., xxiii, 2-4. Mais ces termes avaient, au temps de Notre-Seigneur, un sens plus large encore : ils désignaient le pouvoir de décider souverainement en matière religieuse et de gouverner la société religieuse : pouvoir législatif, pouvoir judiciaire, tout est compris dans ces mots. Knabenbauer, Comment. inEvang. sec. Matth., Paris, 1893, t. II, p. 66. Le pouvoir de pardonner les péchés et de les punir est nécessairement renfermé dans cette plénitude de pouvoir promis à saint Pierre et aux apôtres.

Cette conclusion est encore plus manifeste, si, au lieu de les considérer isolément, on replace ces paroles de Notre-Seigneur dans leur contexte. C’est après avoir dit à Pierre : « Je te donnerai les clefs du ciel. » que Jésus poursuit, avec l’intention évidente d’expliquer et de préciser le sens de cette métaphore : « aussi (et) tout ce que tu lieras, etc. » Le pouvoir de lier et de délier est donc comme un écoulement du pouvoir des clefs. Or celui-ci consistant principalement dans le droit d’admettre au ciel ou d’en exclure, il est évident que Pierre reçoit le droit de délier les hommes des liens du péché, qui les empêchent d’aller au ciel, ainsi que celui de leur imposer des peines pour leurs péchés, de telle sorte que s’ils ne veulent pas s’y soumettre, ils sont exclus du ciel.

Déjà le pape saint Calliste, au témoignage de Tertullien, s’appuyait sur ces paroles de Jésus à saint Pierre pour justifier son droit de remettre les péchés. Tertullien, devenu montaniste, ne conteste pas la légitimité de cette interprétation, mais seulement l’application que le pape fait à sa personne du pouvoir donné à Pierre. De pudicitia, c. xxi, P. L., t. ii, col. 1025.

D’autre part, c’est manifestement aller trop loin que de soutenir avec quelques Pères (saint Chrysostome, par exemple) qu’il s’agit ici du seul pouvoir de remettre ou de punir les péchés. Ce sentiment n’est partagé parmi les modernes que par Grimm, Leben Jesu, 1887, t. iii, p. 618.

A son tour le contexte de la promesse faite à tous les apôtres, Qusecumque alligaveritis, etc., Matth., xviii, 18, fournit un argument, plus décisif encore, que le pouvoir de lier et de délier s’étend aux péchés. Il s’agit en effet du pécheur que la charité oblige à reprendre : Si peccaverit in te f rater tuus, vade et corripe eum, Matth., xviii, 15 ; s’il ne veut pas écouter la correction fraternelle, % 16-17, on doit le déférer à l’Église, Die Ecclesise. L’Église, c’est-à-dire ses chefs, puisque Jésus parle ici des apôtres, ꝟ. 18, ont le droit d’imposer à ce pécheur des obligations en rapport avec sa faute, et celui-ci a le devoir de s’y soumettre. S’il ne le fait pas, il doit être retranché de l’Église : Si Ecclesiam non, audierit, sit tibi sicut ethnicus et pubhcanus ; s’il se soumet, il sera maintenu dans l’Église et réintégré dans la communion de ses frères. Car, ajoute Jésus, tout ce que les apôtres feront dans cet ordre de choses, punir le pécheur, l’exclure même de l’Église, lui remettre sa faute ainsi que les peines encourues de ce chef devant Dieu, tout est ratifié dans le ciel : amen dico vobis, quæcumque alligaveritis super terram erunt ligata et in cselo, et quæcumque solveritis super terram, erunt soluta et in cselo, ꝟ. 18.

Cette conséquence est si évidente que même des exégètes protestants, tels que Keil et Weiss, reconnaissent qu’il s’agit ici du pouvoir de remettre les péchés ; seulement pour des raisons étrangères au contexte, qu’il n’y a pas lieu d’examiner ici, ils attribuent ce pouvoir à la multitude des fidèles.

II. L’institution.

Quorum remiscritis peccata, remittuntur eis / et quorum retinueritis, retenta sunt. Joa., xx, 23. Le soir même de sa résurrection, Jésus apparaissant pour la première fois à ses disciples réunis, après les avoir salués et leur avoir montré les plaies de ses mains et de son côté, leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous, » comme s’il voulait prendre congé d’eux ; mais ces paroles avaient en cette circonstance solennelle une signification particulière. Il leur confie en effet la mission, qu’il a remplie lui-même, de rétablir la paix entre Dieu et les hommes. « Comme le Père m’a envoyé, ainsi moi-même je vous envoie. » Les apôtres reçoivent donc de Jésus et la mission d’accomplir la même œuvre que lui, et l’autorité que lui-même avait reçue de son Père dans ce but. Et Jésus spécifie et précise quelles seront cette mission et cette autorité. Il souffle sur eux et leur dit : « Recevez le Saint-Esprit. » Comme le créateur insuffla une âme vivante au premier homme, ainsi Jésus, en qui réside