prendre le sens de cette formule, il faut reprendre par le début l’analyse du concept que le grand docteur se forme du sacrement de la Nouvelle Loi. Avant tout, pour Augustin, le sacrement est le signe sensible d’une chose sainte (signa) cum ad res divinas pertinent, sacramenta appcllantur. Epist., cxxxviii, n. 7, P. L., t. xxxiii, col. 527. Sacrificium visibile invisibilis sacrificii sacramentnm, id est sacrum signum est. De civitate Dei, t. X, c. v, P. L., t. xli, col. 282. Tout sacrement comporte donc deux éléments, un objet visible, matériel, qui est le signe et un objet invisible, spirituel, qui est signifié : Ideo dicuntur sacramenta, quia in eis aliud videtur, aliud intelligitur, P. L. t. xxxviii, col. 1240. Et encore, d’une façon plus expressive : Signacula quidem rerum divinarum esse visibilia, sed res ipsas invisibiles in eis honorari. De calechizandis rudibus, n. 50, P. L., t. xl, col. 344. On voit dans ces textes que le mot sacrement n’est pas pris tout à fait au même sens dans les premières citations et dans les dernières. Dans celles-ci, le mot sacrement semble désigner exclusivement la partie matérielle, le signe, tandis que la réalité spirituelle, qu’Augustin appelle parfois la vertu du sacrement. vis sacramenti est ce qui est désigné. Sans vouloir insister sur ces nuances, il est clair qu’un rapport étroit unit l’élément matériel à l’élément spirituel. L’élément matériel comporte déjà, par lui-même, une certaine similitude naturelle avec la réalité surnaturelle qu’il doit désigner : Si enim sacramenta quamdam simililudinem earum rerum quorum sacramenta sunt non haberent, omnino sacramenta non essent. Epist., xctu, n. 9, P. L., t. xxxiii, col. 363. Par leur élément matériel, les sacrements appartiennent donc aux signes naturels, dont parle Augustin, De doctrina christiana, t. II, n. 2, 3, P. L., t. xxxiv, col. 36-37. .Mais la volonté divine s’est servie de ce signe naturel pour y ajouter le signe conventionnel, signum dalum, des choses saintes, que représente ou produit le sacrement : « Un sacrement, dit M. Tixeront, est donc avant tout, pour saint Augustin, le signe à la fois naturel et conventionnel d’une chose sainte. Il peut n’être que cela, et c’est en ce sens que notre auteur appelle sacrements le sel bénit donné au baptisé, De catechiz. rudib., n. 50, P. L., t. xl, col. 344, les exorcismes du baptême, Serm., ccxxvii, P. L., t. xxxviii, col. 1100, la tradition même du symbole et de l’oraison dominicale aux catéchumènes, Serm. ccxxviii, n. 3, P. L., t. xxxviii, col. 1102. C’est en ce sens encore que les rites de l’Ancienne Loi — sauf la circoncision — qui ne faisaient qu’annoncer le Christ et le salut, sans les apporter, étaient des sacrements. Enarr. in Ps., lxxiii, n. 2, P. L., t. xxxvi, col. 930. Mais, outre cette acception large qui en fait un simple signe, Augustin donne souvent au mot sacrement un sens plus étroit qui en rapproche la conception de notre conception actuelle. Parmi ces rites sacrés, en effet, le saint docteur en distingue un certain nombre qui ne vont pas seulement des signes d’une réalité spirituelle correspondante, mais dont la collation entraîne de plus la production de cette réalité spirituelle d’une façon certaine. Au sacramentum est attachée sa res ou virtus quand il est posé et reçu dans des conditions données. C’est, par exemple, pour le baptême, la régénération spirituelle, pour la confirmation, la personne du Saint-Esprit, pour l’eucharistie, la vie, fruit de la nourriture mangée, et d’une manière générale, la grâce qui est la vertu des sacrements, gratia quæ sacramentorum virtus est. » Enarr., in Ps. lxxyii, n. 2, P. L., t. xxxvi, col 984 ; In Joan. evang., tr. xxvi, n. 11, P. L., t. xxxv, col. 1611.
En considérant le rite matériel du sacrement, Augustin se demande comment et par quoi il est élevé à la dignité de producteur de la grâce dans les âmes.
Pourquoi l’eau, en touchant le corps, purific-t-elle le cœur ? La réponse à cette question fait l’objet d’un texte classique entre tous, et que les théologiens rappelleront à l’envi, dans la question de la matière et de forme des sacrements. Ce texte est un commentaire de Joa., xv, 3 : Jam vos mundi estis propler verbum quod locutus sum vobis. « Pourquoi ne dit-il pas : vous êtes purs à cause du baptême dans lequel vous avez été lavés, mais à cause de la parole que je vous ai adressée ! C’est parce que la parole purifie, elle aussi, dans l’eau. Enlevez la parole, et l’eau n’est plus que de l’eau. Mais voici que la parole s’ajoute à l’élément, et le sacrement est constitué, qui est, pour ainsi dire, une parole visible. » In Joa. evang., tr. lxxx, n. 3, P. L., t. xxxv, col. 1840. Donc, pour saint Augustin (dont l’exégèse ici est cependant contestable) le rite sacramentel, qu’il faut distinguer tout d’abord de la res sacramenti, c’est-à-dire de la réalité spirituelle qu’il produit dans l’âme lorsqu’il est reçu fructueusement, est composé lui-même de deux éléments, une matière ou un geste visible, et des paroles. Les paroles donnent au geste ou à la matière la vertu sanctificatrice. Peu importe qu’Augustin, après bon nombre de Pères, ait entendu, pour le baptême en particulier, la parole sanctificatrice dans un sens beaucoup plus étendu que celui que nous accordons aujourd’hui à la forme même du baptême, restreignant cette forme aux seules paroles de l’invocation trinitaire. Peut-être, dans cette « parole » qui s’ajoute à l’élément faut-il encore comprendre la bénédiction de l’eau, les exorcismes, les professions de foi, etc. L’important est qu’il ait expressément reconnu que l’élément ne pouvait rien produire sans la sanctification des paroles. Sous cette forme générale, l’assertion est bien le prélude et le fondement traditionnel de la doctrine de la matière et de la forme.
Aussi bien, Augustin admet que, dans l’eucharistie, le pain et le vin sont consacrés au corps et au sang du Christ par la prière mystique de la consécration. De Trinilate, t. III, n. 10, P. L., t. xlii, col. 874. De même, pour la confirmation, il reconnaît formellement que l’huile, même bénite par l’évêque, doit être répandue sur le front du chrétien en mode d’onction : sans huile sainte et sans onction, pas de sacrement. In Joan. evang., tr., cxviii, n. 5, P. L., t. xxxv, col. 1950. Cf. In spist. Joannis ad Partlios, tract, iii, n. 5, ibid., col. 2000.
Pour les autres sacrements, nous ne trouvons chez saint Augustin, aucune analyse expresse des éléments qui les constituent. Aussi bien, l’attention des Pères n’était pas portée sur ce point particulier ; mais les assertions générales dont ils se servent montrent bien que, tout en ne parlant expressément que du baptême, de la confirmation, de l’eucharistie et parfois de l’ordre (cf. S. Jean Chrysostome, In Actus Apost., homil. xiv, n. 3, P. G., t. lx, col. 116), leur doctrine vaut pour tous les sacrements, conférant, par un signe sensible efficace, la grâce aux âmes.
3o De saint Augustin à Pierre Lombard.
Période
inexplorée, dont M. Pourrat se contente d’écrire : « Aussi bien, est-ce la doctrine de saint Augustin sur les éléments du rite baptismal que l’on retiendra dans la suite. Les auteurs du Moyen Age ne feront que la généraliser en l’appliquant, autant que faire se peut, aux sept sacrements. » En substance, cette affirmation est exacte : elle pourrait cependant comporter quelques nuances et surtout ne pas restreindre au seul baptême la considération d’Augustin et de ses successeurs. Fulgeme de Ruspe se contente de reprendre l’analyse d’Augustin relativement au rite sacramentel sensible et à l’effet spirituel invisible. Ideo dicuntur sacramenta, quia in eis aliquid videtur, aliud intelligitur. Epist., xii, n. 25, 26, P. L., t. lxv, col. 392. C’est à