371 MATTHIEU (SAINT), CARACTÈRES DU PREMIER ÉVANGILE 372
céleste, de Ja vie future, conçue comme un Heu’où l’on est appelé, qui est préparé depuis l’origine pour Ja récompense de ceux qui l’auront mérité. Ceux-ci y entreront après la consommation, ouvréXeia, xiii, 50 (expression propre à saint Matthieu), tandis que les méchants iront dans un lieu de soulïrance, auquel les allusions sont beaucoup plus fréquentes dans le premer évangile que dans les deux autres Synoptiques, et que saint Matthieu caractérise par l’image du feu, qui se rencontre aussi, quoique moins souvent dans Marc et dans Luc, et par l’image des ténèbres extérieures qui lui est propre, viii, 12 ; xxii, 13 ; xxv, 30.
2. Mais il y a aussi un règne de Dieu sur la terre qui est inauguré par la venue du Christ, et dont l’annonce devra être faite à toutes les nations avant la consommation des choses, xxiv, 4. Ce règne de Dieu sur la terre est le royaume du Fiis de l’homme, qui y viendra à la fin des temps. Comparer à ce sujet les textes parallèles, Matth., xvi, 28 et Marc, ix, 1 : dans celui-ci, c’est le règne de Dieu qui vient en puissance, tandis que, selon saint Matthieu, c’est le Fils de l’homme qui vient dans son royaume. Cf. encore xvi, 28 et Marc, ix, 1 ; Luc, ix, 27. Les paraboles de l’ivraie et du filet, xiii, 47-50, propres à saint Matthieu, mettent bien en relief la composition de ce royaume : il comporte à la fois de bons et de mauvais éléments, entre lesquels la séparation ne se fera qu’à la consommation par le ministère des anges. Saint Matthieu désigne les bons par une expression qui lui est propre, les « fils du royaume » ; ce sont les Juifs qui, en vertu des promesses faites à leur nation, auraient dû être les fils du royaume, viii, 12 ; mais, par suite de leur incrédulité, le royaume de Dieu leur sera enlevé, pour être donné à une nation qui en fera les fruits, xxi, 43, et qui constituera un nouveau peuple spirituel, les vrais « fils du royaume ». xiii, 38.
3. Beaucoup de critiques estiment que les déclarations de Jésus, telles qu’elles sont présentées dans le premier évangile, donnent, plus que dans les deux autres synoptiques, l’impression que la consommation des choses est proche, et que la venue du Fils de l’homme dans son royaume ne tardera guère. Elle devrait même être presque immédiate, si on entend de la venue définitive et glorieuse du Christ sa déclaration au Sanhédrin : « Désormais, à partir de maintenant, iiz’&pTi, vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la Puissance, et venant sur les nuées du ciel. » Mais il ne peut s’agir ici que d’un premier avènement qui coïncide avec le retour glorieux du Cluist au ciel par la résurrection. Il reste cependant certains textes où le second avènement semble se confondre avec le premier, xvi, 27-28, ou avec la ruine de Jérusalem, xxiv. Mais la difficulté sur ce point n’est pas plus grande pour le premier évangile que pour les deux autres synoptiques, qui présentent les événements dans la même perspective. Cf. art. Luc, col. 996-997, et art. Marc, col. 1954. Malgré le contexte immédiat — contexte simplement littéraire d’ailleurs, car les paroles de Jésus rapportées xvi, 27-28 ont très bien pu ne pas être prononcées en même temps — l’affirmation que certains ne goûteront pas la moit avant la venue du Fils de l’homme doit s’entendre de l’inauguration du royaume de Dieu, non de sa consommation. Car, si l’on peut et doit admettre que les évangélistes sont restés dans l’ignorance de la durée véritable du royaume de Dieu sur la terre, on ne saurait penser qu’ils ont cru qu’il durerait moins d’une génération, en présence des textes nombreux et précis qui supposent une organisation durable de la société formée par les disciples du Christ. Cette dernière observation vaut spécialement pour le premier évangile, dont un critique aussi indépendant que M. Goguel a écrit : « Bien que la perspective de la
parousie n’ait pas disparu, et qu’elle domine encore certaines parties de l’évangile, celui-ci n’en est pas moins la charte d’une société qui s’organise pour durer. » Coguel, Introduction au N. T., t. i, p. 440.
4. De fait le caractère social, ecclésiastique, du christianisme est plus fortement marqué dans l’évangile de saint Matthieu que dans les autres Synoptiques. « Il est écrit, dit encore M. Goguel, en vue d’une Eglise, c’est-à-dire d’un groupe qui a besoin de règles pratiques et de directions concrètes. Les discours de Jésus, dans Matthieu, fournissent ces règles et ces directions, sur l’aumône, vi, 1-4, sur la prière, vi, 5-15, sur le jeûne, vi, 16-18, sur le mariage v, 27-32 ; xix, 31-12, sur la conduite à tenir vis-à-vis des enfants, xvin, 10-14, vis-à-vis des frères, v, 25-26 ; vii, 12, xviii, 15-22, sur l’attitude que les gens du dehors auront à l’égard de l’Église, et sur la manière dont celle-ci devra résister et supporter sans faiblir les persécutions, x, 17-36 ; xvi, 24-28. i Saint Matthieu est d’ailleurs le seul des évangélistes à employer le mot église, êxxXr, cûa. Dans Matth., xviii, 17, ce mot désigne une assemblée, qui peut être une assemblée locale, analogue à la synagogue juive, et non pas la société universelle des disciples du Christ. Mais, xvi, 18, 19, où Jésus dit à Pierre qu’il bâtira sur lui son Église, le mot a évidemment le sens précis qu’il a reçu dans la tradition chrétienne. Jésus déclare qu’il établit une société, et que Pierre en sera le chef, cette primauté, cette autorité particulière étant définies par des images, l’image de la pierre sur laquelle on bâtit un édifice et qui en assure la solidité (cf. Matth., vii*, 24-27), et l’image des clés du royaume qui lui seront confiées, avec le pouvoir de lier et de délier
Beaucoup de critiques indépendants contestent l’authenticité de ces deux versets, où ils voient une interpolation postérieure datant du commencement, ou même, selon quelques-uns, de la fin du iie siècle, interpolation qui aurait eu pour but de soutenir les prétentions de l’Église romaine. Les raisons alléguées sont : le fait que ces versets ne figurent pas dans les passages parallèles de Marc et de Luc, l’absence de citation de ce texte chez les écrivains du iie siècle, et surtout son * caractère où se reflète, dit-on, une conception qui n’a été ni celle de Jésus lui-même, ni celle du christianisme primitif. Il faut noter d’abord, en réponse à ces objections, que la critique textuelle ne donne aucun appui à l’hypothèse de l’interpolation, le passage figurant dans tous les manuscrits-, et que Ja critique littéraire est plutôt favorable à l’authenticité : la réponse de Jésus à saint Pierre apparaît en effet comme le complément nécessaire de la question qu’il lui a posée auparavant, et M. Goguel, pour le citer encore, reconnaît que « Ja déclaration à Pierre est si bien intégrée à son contexte que la seule raison qu’il y ait d’y voir une interpolation est qu’elle paraît supposer une conception ecclésiastique que l’on hésite à rapporter à la période de rédaction des évangiles. » Op cit., p. 408. D’ailleurs ce n’est pas le seul endroit où saint Matthieu témoigne d’un intérêt particulier pour saint Pierre et pour son rôle spécial » parmi les disciples : il rapporte seul deux épisodes, la marche de Pierre sur les eaux, xiv, 28-31, et le miracle du didrachme, xvii, 25-27, où cet apôtre joue un rôle de premier plan. En tous cas, et quoi qu’on pense de l’idée qui y est exprimée, le passage contesté ne peut pas avoir été composé tardivement, car il a un caractère sémitique très net, et le jeu de mots sur le nom de Kephas n’a toute sa valeur qu’en araméen, ce qui suppose tout au moins, en admettant que ce ne soit pas une parole authentique de Jésus, que sa première rédaction a été araméenne, donc beaucoup plus ancienne que ne l’estiment les critiques qui y voient une interpolation. Quant au mot sy.xlqa’ia. dont, en