mirent ses protégés en déroute et nettoyèrent la région de ces perturbateurs. C’était en 1188. Sept ans après (l 195), ’Abd-Al-Mon’em mourut et le pays retrouva l’équilibre sous la conduite de son fils, resté fidèle à la foi de ses ancêtres. Douaïhi, nis. 393 fol. 123r°125 r » ; Annales, an. 1488, fol. 71v°-72r° et V.
Toutefois, on le comprend, la paix dont les maronites jouissaient durant cette période ne pouvait être que relative, et intermittente. Les autorités mamloùks restaient là et les mouquddamin n’arrivaient pas toujours à mettre leurs compatriotes à l’abri des mesures tyranniques qu’elles édictaient. Le rapport envoyé de Qannoûbin au pape en 1475 par le légat, Fr. Alexandre d’Arioste, nous peint bien l’état précaire dans lequel ils se trouvaient. « Dans toutes les parties du Liban, écrivait-il, ce n’est que désolation, pleurs, épouvante. Sous prétexte de lever un certain tribut qu’ils appellent Gélia, ils (les agents de l’autorité ) dépouillent ces pauvres montagnards de tout leur avoir ; ensuite, ils les frappent de verges, leur infligent toute sorte de tourments pour leur extorquer ce qu’ils n’ont pas. Contre ces vexations, il n’y a qu’un recours possible : l’apostasie. Plusieurs s’y seraient laissés induire, si la charité de leur pieux patriarche (Pierre Ibn-Hassân) n’était venue à leur aide. Atterré du péril que couraient les âmes de ses ouailles, il a livré tous les revenus de ses églises pour satisfaire l’avidité des tyrans ; aussi est-il sans ressource. La porte du monastère est murée ; parfois il est obligé de se cacher, comme les pontifes Urbain et Sylvestre, dans des cavernes creusées dans le sein de la terre. » Dans Marcellin de Civezza, loc. cit., p. 214-215.
La figure qui domine l’histoire maronite au xv e siècle est celle de Gabriel Ibn-Al-Qela’î (ou Barcleius, Benclaius, Bar Qlaï, Qlaï). II vit le jour vers 1450, au village de Lehphed de la province de Gébaïl (Byblos). Lors de sa mission au Liban, Frère Gryphon le choisit avec deux autres maronites pour les faire entrer dans l’ordre de saint François. Après avoir émis la profession religieuse, tous trois furent dirigés vers Venise et Borne pour compléter leurs études. Voir Fr. Francesco Suriano qui les a connus, op. cit., p. 70-71 ; Douaïhi, Annales, an. 1471, fol. 70v° ; ms. 30 J, fol. 121. C’étaient les premiers maronites envoyés en Occident pour raison d’études. Bevenu au Liban en 1493, Frère Gabriel se mit au service de ses compatriotes pour les instruire et éclairer leur foi. Il eut surtout à lutter contre les jacobitès, et ne craignit même pas d’aller trouver’Abd-AI-Mon’em et de le blâmer en face pour avoir trahi la religion de ses pères. Douaïhi, ms. 395, fol. 130 r° et v°. En l’espace de trois ans, il écrivit jusqu’à 456 lettres pour démasquer les erreurs monophysites, ainsi qu’il le dit lui-même. Voir une lettre de lui, 5 août 1495, dans Douaïhi, ibid., fol. 128v°-130r°. Il excella dans la composition des Zajaliât (sorte de poèmes populaires). Nous en connaissons quelques spécimens. Voir Douaïhi, ibid., fol. 125 v°-127 r° ; Georges Manache, chorévêque maronite d’Alep, dans la revue Al-Machriq, 1920, p. 252256, etc. Il composa encore et traduisit en arabe plusieurs ouvrages de théologie, d’histoire, de droit canonique, etc. Voir J.-S. Assémani, Bibl. or., t. i, p. 577 ; Ét.-Év. Assémani, op. cit., p. 386-387 ; Douaïhi, ibid., fol. 125r°-127r° ; Annales, an. 1494, 1516, fol. 72v° et78v° ; Le Quien, t. iii, col. 86. En outre, nous avons de lui une version arabe de huit lettres pontificales adressées aux maronites. La version de ces lettres se trouve à la Vaticane dans le Cod. Vat. arab. 640, fol. 26-37. En 1507, il fut sacré évêque de Nicosie pour les maronites de Chypre et resta sur ce siège jusqu’à sa mort, en 1516. Ibn-Al-Qelà’î fut le premier maronite qui lut les ouvrages latins concernant
les origines religieuses de sa nation. II en défendit avec vigueur la perpétuelle orthodoxie et son exemple fut suivi par les écrivains postérieurs. Il exerça une action profonde sur la vie de l’Église maronite. On le compte, à juste titre, parmi les principaux précurseurs de la latinisation effective de la liturgie et de la discipline.
Il nous reste à dire un mot d’un événement important du xve siècle : la soi-disant conversion des maronites de Chypre, sous Eugène IV, à l’occasion du concile de l’Union.
Le concile était déjà transféré de Florence au Latran, lorsque le pape confia à André de Colosses la mission d’annoncer en Orient l’union conclue et d’en expliquer la teneur aux populations chrétiennes de ces contrées. Le pape s’exprime ainsi :
Post celebratam in œcumenico concilio Florentino, orientalis Ecclesia’cum oceidentali unionem, post Armenorum, Jacobitarumque, et Mesopotamiae populorum reductionem, venerabilem fratrem nostrum Andraam, archiepiscopum Colossensem, ad partes Orientis et Cypri insulam destinavimus, ut et Græcos, et Armenos, et Jacobilas ibidem degentes prædicationibus suis, et decretorum pro eorum unione et reductione editornm expositionibus et declarationibus, in suscepta fide confirmaret, et quos ex aliis sectis a vera doctrina alienos tam Nestorii, quani Macarii sectatores inveniret, monitionibus et exhortationibus ad fidei veritatem reducere conaretur. Constit. Benedictus sii Deus, 7 août 1445, dans I.abbe, Concil., t. xjii, col. 1225-1228 ; cf. aussi Mansi, Concil., t. xxxi b, col. 1755-1757.
Le premier devoir du Jégat apostolique était donc de reconnaître les différentes sectes en question. Il dut lire les auteurs latins, tels que Guillaume de Tyr, Jacques de Vitry, pour éclairer sa religion ; il vit dans les maronites des sectateurs de Macaire. Or, l’évêque maronite Élie ayant accepté comme le métropolite nestorien, Timothée de Tarse, la profession de foi catholique, présentée par le légat, ce dernier ne manqua pas d’interpréter cette adhésion comme une conversion de l’hérésie et de s’en attribuer le mérite. Aussi le pape ajoute-t-il :
Quod pro sua sapientia, aliisque virtutibus, quibus eum largitor gratiarum dominus insignivit, diligentissime prosecùtus, post diversas multiplicesque disputationes, post varios tractatus, eliminata tandem ex eorum cordibus prinium omni Nestorii impietate… ; deinde Macarii Antiocheni impilssimi, qui quamquam Christum verum Deum et hominem esse profitebatur, divinam tamen solum in eo voluntatem et operationem, humanitati ejus parum tribuens, esse asserebat : venerabiles fratres nostros Timotheum metropolitam Chaldæorum, quos ad hæc usque tempora Nestorianos, eo quod Nestorium sequebantur, in Cypro vocaverunt, et Eliam episcopum Maronitarum, qui cum sua natione Macarii dogmatibus in eodem regno infectus tenebatur, cum omni multitudine populorum et clericorum in insula Cypri ei subjecta, ad veritatem fidei orthodoxse, divino sibi assistente numine, convertit, fidemque et doctrinam, quam semper sacrosancta coluit et observavit Ecclesia, eisdem præsulibus et omnibus ibidem eis subjectis tradidit, quamque præfati præsules in publica et magna congregatione diversarum nationum in eodem regno existentium in metropolitana ecclesia Sanctse Sophiae habita, summa cum veneratione susceperunt. Quo facto, Chaldai quidem prælatum Timotheum suum metropolitam, Elias vero Maronitarum episcopus nuncium, de fide Romanae Ecclesia ; … solemnem professionem emissuros ad nos usque miserunt, et coram nobis in hac sacra cecumenici Latc-ranensis concilii generali congregatione fidem ipsam atque doctrinam Timotheus ipse mctropolita… reverenter et dévote, ut sequitur, professus est… Deinde similem per oninia professionem dilectus in Christo filius Isaac, nuncius venerabilis fratris nostri Elise, episcopi Maronitarum, ipsius vice et nomine, reprobando Macarii de unica volùntate in Christo hæresim, multa cum veneratione emisit. (Ibid.)
Le récit de cette prétendue conversion des maronites de Chypre ne nous semble pas conforme à la réalité.