695 MERITE CHEZ LES SCOLASTIQUES : ROLE DU MERITE DE CONGRUO 696
heiligmachende Gnade, dans Zeitschrift für kath. Théologie, 1926, t. i., p. 27-72 et 220-252, qui, à propos de saint Bon aventure, expose et précise les principes de toute l’école franciscaine en général.
Ainsi l’appréciation des œuvres préparatoires à la justification se ramène, comme on l’a dit, à « un intermédiaire entre le mérite et le non-mérite ». K. Heim, op. eit., p. 71 ; cf. p. 1-18. Tel est, en effet, le sens spécial du mérite de congruo, qui permet de rendre justice — aux bonnes actions de l’homme, sans méconnaître que Dieu en reste la source et qu’elles n’ont de valeur qu’au regard de sa bonté.
b) Problème de la préparation à la grâce : École dominicaine. — Cette conception, au demeurant, est si peu propre. à l’école franciscaine qu’on la retrouve dans toutes les autres. Quoique très fidèle à l’idée d’une école franciscaine, R. Seeberg, Dogmengeschichte, t. ta, p. 115, n. 2, convient que la ratio congruentiæ à l’égard de la première grâce se retrouve chez Henri de Gand, QuodI. IV, q. xix, et que sur ce point Pierre de Tarentaise ne fait plus d’une fois que copier saint Bonaventure. Voir également sur Pierre de Tarentaise le scholion des éditeurs de Quaracchi, t. ii, p. 683. Ce dernier nom suffît à prouver que le mérite de congruo n’est pas étranger aux théologiens de l’école dominicaine. De fait, on le trouve en termes exprès chez ses plus illustres représentants. « Albert le Grand, écrit F. Loofs, Dogmengeschichte, p. 548, était semipélagien comme Alexandre et Bonaventure. » Qualificatif très révélateur des tendances de l’historien, mais d’ailleurs injustifié ; car Albert enseigne, bien entendu, l’absolue nécessité de la grâce et son antériorité à tout mérite de notre part. Profanum est dicere nisi quod gratia semper prævenit voluntatem et erigit voluntatem ut velit bonum. Sum. theol., p. II », tr. xvi, q. c, m. 1, Opéra omnia, édit. Vives, t. xxxiii, p. 246. Et il cite comme autorité, en les attribuant à Prévôtin, ces deux vers de facture très augustinienne, qui avaient déjà cours dans l’École, au dire de Guillaume d’Auvergne, Opéra, fol. cc.xxxi r°, sous le nom de l’évêque du Mans Hildebert :
Quidqnid liabes meriti propventrix gratia donat, Nil Deus innobis pr.Tler sua dona coronat.
Il laisse néanmoins, comme on l’a dit, « une porte ouverte » au mérite en vue de la première grâce. H. Schultz, loc. cit., p. 271. Car si, entant que « préparation de la grâce », la prédestination est absolument gratuite, la collation de la grâce, d’après lui, s’accompagne d’une raison. Appositio gratiee… potest… habere rationem ut rationabilis esse videatur, et hsec ratio non est antecedens sed concomitans. Unde hsec ratio potest esse scientia merilorum. Sum. theol., p. I a, tr. xv, q. lxra, m. 3, a. 1, t. xxxi, p. 648. Voilà pourquoi il y a lieu de concevoir une préparation à la grâce et de ranger les œuvres faites en état de péché dans une catégorie inférieure de mérite : Minus improprie dicitur mereri aliquis per bona fada in mortali peccato. llle enim ex debito non potest mereri ; sed tamen a magistris dicitur quod de congruo merctur gratiam. Et verius diceretur quod mereretur eam de minus incongruo, quia sciliect magis se disponit ad gratiam per opéra quæ facit quam ille qui non jacit. In Ill nm Sent., dist. XVIII, A, a. 1, t. xxviii, p. 313.
On accorde du moins à saint Thomas, Loofs, ibid., p. 548-550, l’honneur de faire exception en se rattachant au pur augustinisme. Et ceci correspondrait sans nul doute à ce mouvement de « réaction religieuse » que veut à son tour lui imputer A. Harnack, Dogmengeschichte, t. iii, p. 643, à l’égard de l’école franciscaine.
Pour réduire cette antithèse à ses justes proportions
il faut tout d’abord tenir compte que, dans ses œuvres de jeunesse, éminemment représentées par son Commentaire sur les Sentences (1253-1255), il se tient exactement sur la même ligne que les docteurs déjà cités. Dicimus quod ad gratiam gratum facientem habendam ex solo libero arbilrio se homo potest præparare ; (aciendo enim quod in se est gratiam a Deo consequitur. Sans doute le libre arbitre lui-même est une grâce, gratia gratis data, mais seulement en tant que ce mot désigne la Providence générale de Dieu sur nous, ipsa divina providentiel qua omnibus rébus gratis impendit ex sua bonitate ea quee ipsis conveniunt. In I I am Sent., dist. XXVIII, q. i, a. 4, t. viii, p. 380-381. Le bon usage de cette liberté est une disposition à la grâce et devient, jusqu’à certain point, un mérite de congruo : Deus dat gratiam indignis, quia his dat qui non sunt sufjicienter ad hoc digni sed tamen habent aliquam dispositionem ad recipiendum, ex quo dicuntur quodammodo ex congruo gratiam mereri. Ibid., dist. XXVII, q. i, a. 4, ad 4um, p. 368. Cf. ibid., a. 6, p. 371. Des textes similaires, pris dans les œuvres du même temps, ont été réunis par J. Stufler, Die entfernle Vorbereitung auj die Rechljertigung nach dem hl. Thomas, dans Zeitschrift fur kath. Théologie, 1923, t. xlvii, p. 161-173.
Il est vrai que la Somme théologique représente sur ce point une notable réaction, qui frappait déjà Cajétan. Le saint docteur y conserve toujours la nécessité de se préparer à la grâce et, par conséquent, l’adage Facienti quod in se est, P’-II*, q. cxii, a. 2-3 ; mais c’est après avoir expliqué qu’en plus du don de la liberté cette préparation demande aliquod auxilium gratuitum Dei interius animam moventis sive inspirantis bonum propositum. Ibid., q. cix, a. 6. Ainsi donc l’accès à la grâce ne peut lui-même se faire que par la grâce.
Dans cette voie, on a prétendu, Loofs, Dogmengeschichte, p. 551-552, cf. R. Seeberg, Dogmengeschichte, t. iii, p. 430, que saint Thomas aurait fait subir au concept classique du mérite de congruo une transformation qui équivaudrait à le nier. Au lieu de signifier une valeur autonome, il ne serait plus qu’un aspect des œuvres faites en état de grâce. On invoque pour cela l’art. 3 de la q. exiv, où le saint docteur explique, en effet, qu’il y a mérite de condigno par rapport à la vie éternelle, mais à condition de ne pas considérer dans l’œuvre méritoire le seul fruit de la liberté : Si consideretur [opus meritorium] secundum substantiam operis et secundum quod procedit ex libero arbilrio, sic non potest ibi esse condignitas…, sed est ibi congruitas propler quamdam œqualitatem proportionis. Mais on ne prend pas garde que saint Bonaventure se livre, lui aussi, voir col. C91, à une semblable dissociation formelle des éléments de notre mérite, sans pour cela nier le mérite de congruo. Car, si la congruitas est ici un simple aspect d’une œuvre qui a par ailleurs des titres à la condignitas, rien n’empêche que, dans d’autres circonstances, elle soit réalisée pour elle-même, lorsque précisément il s’agit d’œuvres où le libre arbitre n’est pas intrinsèquement surnaturalisé par la grâce sanctifiante. Saint Thomas suppose à coup sûr cette hypothèse, quand il écrit un peu plus loin, après avoir défini le mérite de condigno, ibid., a. 6 : Alio modo habet [opus noslrum] rationem meriti, secundum quod procedit ex libero arbilrio in quantum voluntarie aliquid facimus. Et ex hac parle est meriium congrui, quia congruum est ut, dum homo bene utitur sua virtute, Deus secundum supercxcellentem virtutem excellentius operetur. Le cas d’un homme qui « use bien de ses forces » n’a évidemment rien d’irréalisable ; pour la même raison et dans le même sens, on voit que tous les principes de saint Thomas le poussaient logiquement à reconnaître que le mérite de congruo peut devenir une réalité.