2e édit., 1882, t. i, p. 135, « il n’est pas vraisemblable que ces pensées [sur le rôle qui revient à Dieu dans l’affaire du salut] leur aient été remises en mémoire par le seul fait que les réformateurs leur accordaient un relief aussi prépondérant ». Seulement il ne faut pas davantage sacrifier l’œuvre de l’homme à celle de Dieu. L’intérêt de ces premiers actes de ce qu’on pourrait presque appeler le magistère ecclésiastique, joints à l’éfTort des controversistes qui les avaient inspirés et préparés, est de faire voir avec quelle sûreté de main les défenseurs de la foi catholique maintenaient cet équilibre sur lequel l’Église avait jusque-là vécu, et dont la Réforme venait troubler si gravement l’économie.
Il n’est peut-être pas de document où se reflète mieux la complexité de cette position que les instructions pratiques contenues dans la lettre du pape Paul III « sur la manière de prêcher » (1542), éditée dans Quirini, Epist. Reg. Poli, Brescia, 1748, t. iii, préface, p. 80-81.
Avant tout, le pape recommande d’insister sur les bonnes œuvres, mais non sans les subordonner aux mérites du Christ. Locus hic de bonis operibus maxime est amplificandus coram populo…, dummodo semper primum fiduciam habeat in meritis Christi quibus omnia nostra opéra nituntur. C’est dans ces conditions que Dieu propose à nos efforts præmia omnium amplissima, savoir la vie éternelle. D’où ces règles positives à l’adresse du prédicateur : Ita… agendum ut nunquam fidem in Christum prædicet quin etiam in eodem sermone et de peenitentia et de bonis operibus disserat, itemque contra nunquam de operibus et de pœnilenlia sermonem habeat quin etiam de fide et meritis Christi. Ceci dit pour la moyenne du « peuple », il faut aussi penser aux âmes superieures.cn qui l’amour du Christ fait naître le plus complet mépris de leurs œuvres : Quod si quis poluerit ad hanc in Christo perfectionem peruenire ut sui ipsius oblilus… omnia etiam bona opéra sua… contemnat et nihilifaciat, sed vivat tantum in Christo, hic præ omnibus admiratione dignus est habendus. Mais on se gardera d’exposer ces sommets du mysticisme à tout le monde indistinctement ; nam non omnes huic verbo capiendo idonei sunt. Les mystiques eux-mêmes sont avertis qu’ils doivent tout d’abord, sous peine des pires illusions, accomplir avec le plus grand soin toutes les bonnes œuvres que réclame leur état, pour avoir ensuite le droit de les mépriser.
Ainsi le pape voulait unir à une légitime appréciation du mérite, non seulement la considération de la grâce qui en est le fondement, mais le sens de la perfection qui arrive à le compter pour rien. On tenait généralement, comme l’estime le savant éditeur, ibid., p. 74, que cette lettre pontificale a pour « auteur principal » le célèbre cardinal Pôle, voir Epist., xxv, ibid., p. 45. Aujourd’hui elle est restituée à G. Contarini. Voir Fr. Dittrich, Regeslen und Brieje des Cardinals G. Contarini, Braunsberg, 1881, n. 859, p. 225-226. De toutes façons, elle n’est que plus représentative de la théologie du temps.
2° Essais de compromis.
Tandis que s’affirmait
ainsi la doctrine catholique intégrale, d’autres, plus sensibles aux préjugés tenaces des réformateurs, essayaient de les désarmer par quelques concessions.
1. Tentatives isolées.
De cette méthode l’histoire des premières controverses fournit d’assez curieux spécimens.
C’est ainsi que le théologien belge George Cassander, voir t. ii, col. 1823, qui prit part à maints colloques avec les protestants, tout en conservant le mot mérite dont ses adversaires eux-mêmes consentaient à se servir, s’applique à en réduire la réalité. Il insiste sur le déficit de notre propre justice, même après la justification : Illud ab universa Ecclesia diligenler
asseritur eam [justitiam] potissimum in fide remissionis peccatorum et Dei misericordia per intercessionem sanguinis Christi consistere, cum per se ipsa impura et imperfecta sit. A l’appui de son affirmation, il se sent capable de citer mulla et præclara antiquitatis testimonia, parmi lesquels, bien entendu, les déclarations pessimistes de saint Bernard, voir plus haut, col. 073, figurent en bon rang. De articulis religionis inler calh. et prot. controversis, vi, édit. de Lyon, 1612, p. 52. A ces « témoignages de l’antiquité » il veut joindre le suffrage des scriptores scholastici et recentiores ecclesiastici, qui omnem vim meriti hujus justitise in sola gratuita Dei acceptatione et liberali promissione conslituunt, cum et ipsa qualiscumque justitia donum sit Dei et jure servilutis Deo debeatur. Ibid., p. 53.
Ce qui est plus précieux pour nous, ce sont les passages qu’il rapporte, ibid., p. 53-54, d’auteurs contemporains. Sunt mérita nostra, enseignait Adrien d’Utrecht, devenu pape sous le nom d’Adrien VI, veluti baculus arundineus, cui dum quis innixus fuerit confringit. .., et quasi pannus menstruatæ sunt omnes justitise noslræ. Jugiler igitur super pannum bonæ vitæ quem justiliie operibus leximus slillamus saniem diversorum criminum. Quse igitur ex eis poterit esse fiducia ad Deum ? Et semblablement le maître parisien Josse Clichtoue sur les trois mots A’on sestimator meriti du canon de la messe : Quid meriti nostri apud Deum poterimus obtendere cui debemus omnia ?… Quid nobis de bonis operibus applaudere poterimus, cum universse justitise nostrse sint quasi pannus menstruatæ apud Dominum ?… Nulla igitur in Deum nostra sunt mérita, cui débita sunt omnia quæ præstamus, cui non ex nobis sed sola sua bonitate, si qua sunt bona opéra nostra, accepta sunt et grala, et a quo ut præcipuo auctore projecta sunt. Ces affirmations se lisent dans son Elucidarium ecclesiasticum, t. III, Bâle, 1519, fol. 140 v°.
De ces citations George Cassander, op. cit., p. 54, entendait bien dégager une apologétique de circonstance : Hœc ideo adscribere visum fuit ut præsens Ecclesia a calumnia vindicetur, qua nimium huic justitiæ et merito bonorum operum tribuere, et in Christi meritum ingrata et contumeliosa esse traducitur. Sous prétexte de ne pas trop accorder au mérite humain, notre théologien n’aboutissait-il pas à lui accorder trop peu ? Ces concessions, en tout cas, valurent à son petit traité d’être partiellement réédité plus tard, avec une traduction allemande, par le luthérien Jean Saubert, sous le titre, d’ailleurs excessif, de Cassander evangelicus sive in plœrisque assertor Aug. Confessionis gravissimus, Nuremberg, 1631, où les passages relatifs au mérite ne manquent pas de figurer, p. 54-64. Son nom et son dossier sont pareillement exploités par J. Gerhard, Loci theol., loc. XVIII, c. viii, n. 107, édit. Cotta, t. viii, p. 117-119, et, plus récemment encore, par A. Ritschl, op. cit., 1. 1, p. 137.
En somme, il n’y avait là que la reprise d’un thème pessimiste déjà familier aux mystiques du Moyen Age, voir plus haut, col. 707, et qui ne représentait évidemment qu’un côté de la question. Il n’en est pas moins significatif que ces textes aient semblé utilisables en vue de certaines avances à faire aux protestants.
2. École de Cologne. — Ces manifestations isolées d’opportunisme allaient prendre corps dans la théorie de la double justice, dont les théologiens de Cologne se constituèrent les défenseurs. Voir Justification, t. viii, col. 2159-2164. Elle consiste à diminuer le plus possible l’œuvre de l’homme au profit de la justice du Christ, qui peut seule donner à la nôtre quelque valeur. Il devait en résulter une appréciation absolument minimiste du mérite humain.
On voit s’affirmer cette tendance chez Albert Pighius, qui avait suivi à Louvain les leçons du futur