Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/408

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
801
802
MESSE DANS L'ÉCRITURE, ÉTAT DE LA QUESTION


demanda de plus en plus a l’eucharistie ce que les paie s ' cherchaient dans les religions à mystères : la rédemption du péché, la délivrance de ses châtiments, la victoire sur les puissances malfaisantes, l’union mutuelle des participants, la vie des convives avec le Dieu sauveur présent au repas. Au pain et au vin furent attribués ces effets, non parce qu’une transsubstantiation aurait fait d’eux le corps et le sang du Christ, mais parce qu’ils sont les véhicules des vertus divines et des dons célestes. L’agape n’apparaît pas encore. On la découvre seulement à l'époque de Tertullien, de Clément d’Alexandrie, de la Tradition apostolique et des Canons de saint Hippolyte. Des abus survinrent, aussi disparut-elle bientôt ou ne fut-elle maintenue qu’aux banquets funèbres (Constitutions Hippolylines) ou aux repas offerts à des pauvres (Didascalie et Constitutions apostoliques).

Faire connaître ces hypothèses les plus récentes, n’est pas seulement nécessaire pour que le problème du sacrifice de la messe d’après l'Écriture et les premiers chrétiens puisse être posé comme il doit l'être aujourd’hui. Il suffit à un historien des origines auquel sont familiers les textes du Nouveau Testament, des Pères ou des liturgies primitives de confronter leurs dépositions avec ces essais, pour qu’aussitôt ; e découvre tout ce que ces constructions éphémères ont de discutable et de fragile, ce que certaines d’entre elles offrent d’audacieux et d’extravagant.

Le catholique relève non sans une véritable satisfaction dans les moins fantaisistes de ces systèmes, ceux d’un Lietzmann ou d’un Vœlker par exemple, et même dans ceux d’un Loisy ou d’un Wetter, de nombreuses affirmations qui se rapprochent des doctrines traditionnelles. Il le constate : ce n’est plus aux doctrines du Moyen Age, aux Pères de la grande époque ou à saint Cyprien qu’on fait remonter la transformation de la cène en un sacrifice : dans le quatrième évangile et dans saint Paul, c’est-à-dire au ie siècle et jusque vers l’an 50, on veut bien reconnaître une partie considérable des affirmations que les catholiques n’ont cessé d’y découvrir. On condamne donc avec eux des thèses qu’ils n’ont cessé de réfuter.

Sans doute, on estime que ces antiques témoins ont ajouté à la pensée de Jésus et ont fait du repas d’adieu un sacrifice, un sacrement, un mystère. Mais l’historien qui lit ces affirmations sait qu’on ne peut les appuyer sur aucun document de l'époque. Il s’en aperçoit : elles supposent la mutilation arbitraire de certains textes ou encore l’oubli d’une partie de leur contenu ; elles découlent de l’importance excessive accordée sans raison suffisante à un document aux dépens des autres, parfois même à des témoignages moins anciens, peu clairs et très suspects, par exemple à des apocryphes du iie siècle préférés aux Synoptiques et à saint Paul. Ou bien encore on croit pouvoir expliquer les institutions chrétiennes primitives soit par des liturgies de beaucoup postérieures, soit par des rites que les premiers fidèles avaient en abomination, les mystères païens, mais on est obligé d’ajouter que le rite chrétien n’en est pas un décalque, qu’il conserve une originalité singulière et s’est assimilé ce qu’il a emprunté. Bref, non seulement le catholique, mais tout savant sérieux, qui sait d’après quelles méthodes rigoureuses sont explorés les autres domaines de l’histoire, ne peut que sourire lorsqu’il voit certains critiques contemporains prétendre savoir mieux que Paul et les chrétiens de la première génération ce que pensait Jésus.

Définition du sacrifice d’après l’Ancien Testament.

Comment les témoins de l'événement comprirent les paroles et les gestes de Jésus, voilà ce qu’il

importe avant tout de savoir. Aussi semble-t-il oppor DICT. DE THÉO !.. CATH.

tun, sinon nécessaire, de chercher quelle conception ils avaient du sacrifice. Nos définitions modernes sont pour eux sans intérêt. Ils ont tenu la cène pour un sacrifice, si en elle leur ont apparu les signes auxquels ils reconnaissaient un tel rite.

Enfants d’Israël, ils avaient entendu parler des oblations présentées à Dieu par des personnages de l’Ancien Testament : nul doute, toutes ces offrandes leur semblaient être autant de tributs. En chacune l’homme se dépouillait d’un de ses biens et le présentait à Dieu comme à son maître, toujours afin de l’honorer ou de le remercier, parfois pour l’apaiser ou se concilier ses bonnes grâces. Ce dernier souci apparaissait surtout dans le sacrifice des victimes animales : là le sang était offert parce qu’en lui résidait la vie, Gen, ix, 4, c’est-à-dire le don par excellence, le plus apte aussi à représenter notre personne. Les contemporains du Christ savaient encore que par le sang des sacrifices s'étaient scellées des alliances. Abraham et Jahvé avaient conclu un pacte d’amitié en passant à travers deux moitiés de victime comme pour être unis par la même vie s'échappant de l’un et l’autre morceau. Gen., xv, 7-18. Cette manière de contracter alliance était signalée plus tard par Jérémie. xxxiv, 18-20. Au Sinaï, pour que s’opérât l’union d’Israël avec Jahvé, le sang des mêmes victimes avait été versé en partie sur l’autel et en partie sur le peuple. Ex., xxiv, 3-8.

Les contemporains de Jésus ne connaissent pas seulement par les traditions juives les sacrifices d'êtres vivants. Ils en offrent de diverses sortes. Dans tous les principaux, ceux des quadrupèdes, on trouve les cinq rites suivants : l’animal est présenté devant Dieu, Lev., i, 11 ; le donateur « met la main sur la tête » ; immédiatement la victime est égorgée à la face de Jahvé, tout son sang est aussitôt recueilli par les prêtres qui le répandent à l’autel ; enfin il y a une certaine combustion : tantôt le tout, tantôt une partie, toujours au moins la graisse est réservée à Dieu, donc livrée aux flammes.

Si, dans l’holocauste, tout fume sur l’autel en combustion d’agréable odeur, dans les selâmim ou sacrifices pacifiques, une partie des chairs est mangée par le prêtre, une autre' par les donateurs qui doivent être purs pour la consommer. Ils sont invités par Jahvé à s’asseoir à sa table, dans sa maison et à manger un morceau des viandes qu’ils ont offertes à leur Dieu. Us partagent ainsi le même mets, deviennent ses amis et ses familiers. Si dans les sacrifices expiatoires pour le péché (hallat) ou pour le délit Çâsâm) rien n’est consommé par les donateurs, jugés sans doute indignes de communier à des aliments sacrés, du moins une. partie des chairs est mangée par les prêtres qui doivent être purs et qui coopèrent à l'œuvre de la réconciliation. Ce qui dans ces sacrifices expiatoires est surtout à relever, c’est l’emploi du sang. Le prêtre ne se contente pas de le verser au pied de l’autel comme il fait dans l’holocauste et les pacifiques. Cette fois il l’emploie pour des aspersions plus ou moins nombreuses, plus ou moins solennelles, selonla gravité de la faute. Elles se font sur le voile du Saint des Saints, aux quatre coins de l’autel des parfums et au pied de celui des holocaustes.

Tels étaient les rites. Comment les comprenait-on ? A coup sûr, le sacrifice apparaissait d’abord comme un présent, un tribut. Tout est à Dieu. Le fidèle lui réserve, lui offre une partie de ses dons et peut alors jouir du reste. C’est ainsi que, par le sacrifice, il rend hommage à la toute-puissance divine et qu’il la remercie de ses bontés. Par lui encore il se concilie les faveurs de Jahvé qui daigne même lui offrir un festin à sa propre table. Enfin, si l’Israélite a offensé Dieu, il prouve par un présent son regret, sa soumission, et Dieu lui rend sa bienveillance : le sacrifice adore et

X.

26