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MESSE DANS L'ÉCRITURE, LA DERNIÈRE CÈNE


Voir De la Taille, op. cit., p. 37. note 2 et Lamiroy, op. cil., p. 210-211. II est alors naturel de conclure : i Mon sang tel qu’il est dons la 'coupe, mon sang à la cène déjà el non pas seulement sur la croix est celui d’une victime, d’un sacrifice. Sans doute, il n’y a pas de différence entre celui qui est versé au Calvaire el celui qui l’est au repas d’adieu. Mais au Golgotha, ce n’est pas une coupe qui a été répandue pour les apôtres. Le Christ par les mots cités plus haut ferait donc allusion au sacrifice de la cène. C’est de cette oblation qu’il parlerait en disant : « cette coupe versée pour nuis est la nouvelle alliance dans mon sang. »

Cette traduction est contestée. Bien qu'étant au nominatif, le dernier membre de la phrase, -b u-èp ÛU.WV èxXuv6[i.svov, pourrait se rapporter au mot qui le précède immédiatement. oâjjiaTt ; car si ce dernier est au datif du moins est-il du même genre, il est neutre. La phrase signifierait donc : « Cette coupe est la nouvelle alliance dans mon sang lequel est versé pour vous. » Telle est l’interprétation que propose le P. Lagrange, Évangile selon S. Luc, p. 545, et elle n’est pas seulement la sienne. L’argument ne peut plus alors être présenté.

Quelle est la bonne version ? Il est difficile de le savoir, car la phrase de Luc, étrange à première vue, s’explique par son origine. Le troisième évangéliste, comme le fait observer P. BatilTol, /, Vuc/ian’sri’e, 8e éd., Paris, 1920, p. 131, semble bien avoir ajouté à la formule de Paul : Cette coupe est la nouvelle alliance dans mon sang, la fin de la phrase de Marc : « répandu pour beaucoup ». ("Il a écrit pour vous comme il l’avait fait en parlant du pain et à l’imitation de l’apôtre.) Pourquoi a-t-il ainsi juxtaposé l’une et l’autre locution"? Est-ce pour affirmer que la coupe et non pas seulement le sang est répandue, en d’autres termes pour attester que la cène est déjà un sacrifice ? Est-ce pour un autre motif ? Aussi longtemps que cette question n’aura pas été résolue, il sera impossible de tirer de cette particularité du texte une preuve en faveur du caractère sacrificiel de la cène.

h) Le Christ s’offre pour être sur la croix l’agneau pascal de la délivrance. — La cène peut être rapprochée d’une autre institution, la Pàque juive, et cette comparaison permet de mieux comprendre ce que fut le repas d’adieu.

Inutile de vouloir résoudre ici des problèmes fort discutés : quel jour de nisan Jésus-Christ fit-il avec les Douze au cénacle le repas dont les Synoptiques nous ont conservé le souvenir ? A-t-il observé toutes les prescriptions du rituel juif ? Si oui, comment a-t-il soudé au festin pascal l’institution de l’eucharistie ? Il suffit de relever les paroles indiscutées que nous a conservées l'Écriture et les faits indéniables qu’elle nous rapporte. Si Matthieu et Marc, dans leur récit du dernier repas de Jésus avec ses disciples, ne signalent pas en termes exprès l’accomplissement du cérémonial de la fête juive, du moins tout aussi fortement que Luc, xxii, 8 et 13, ils nous font savoir que le banquet du cénacle fut célébré sur l’intention de Jésus désireux de « manger la Pâque avec ses disciples ». Marc, xiv, 12-16 ; Matth., xxvi, 17-19. Quant au troisième évangéliste, il a, dans sa relation de la cène, reproduit une parole du Christ manifestant de la manière la plus expresse cette volonté : « J’avais un grand désir de manger cette Pàque avec vous. » xxii, 15. Ainsi Jésus meurt dans la semaine où les Juifs célèbrent cette fête. Il est lui-même, dit Paul, notre agneau pascal immolé pour nous. I Cor., v, 7. On ne peut donc en douter : la cène ne fut pas sans aucun rapport avec la fête juive. Ou bien Jésus, respectueux de la Loi jusqu’au bout, a voulu, avant de célébrer l’eucharistie, accomplir une fois encore entièrement la Pâque légale : telle est l’opinion commune parmi les catho liques : ou bien il l’a « remplacée par l’institution d’une Pàque nouvelle qui ne pouvait se substituer à l’ancienne sans que celle-ci fût rappelée et comme célébrée dans celle qui lui succédait, l’agneau pascal étant inutile quand le Christ se donnait lui-même en nourriture. » Lagrange, Évangile selon S. Marc, p. 337. Pour prétendre qu’il n’y a aucun rapport entre le repas d’adieu de Jésus et la Pàque juive, Lietzmann, op. cit., p. 211-213, il faut supprimer les affirmations très claires des Synoptiques ou leur dénier sans aucune raison toute valeur : cette opinion n’est pas près de s’imposer. Voir Volker, op. cit., p. 17 sq.

Or, si à l’origine l’immolation de l’agneau pascal fut, d’après la Loi, le rite qui permit la préservation des premiers-nés d’Israël, si elle devint dans la suite un mémorial de délivrance, elle fut en même temps un sacrifice. L’Exode, xii, 27, le déclare formellement : « Quand vos enfants vous diront : Que signifie pour vous ce rite sacré? vous répondrez : c’est un sacrifice de Pàque en l’honneur de Jahvé qui a épargné la maison d’Israël lorsqu’il frappa l’Egypte. » On trouve une affirmation semblable dans Ex., xxxiv, 25. Les écrivains du Nouveau Testament, Marc, xiv, 12, Luc, xxii, 7 et Paul, I Cor., v, 7, parlent eux aussi de l’immolation de la Pâque, ils emploient pour la désigner le verbe qui dans les Septante traduit d’ordinaire le mot sacrifier, Ex., xii, 27. Voir Berning, Die Einsetzung der h. Eucharistie, Munster, 1901, p. 149 ; Touzard, La Pàque juive, dans Revue pratique d’apologétique, 1914, t. xvii, p. 32 sq. ; Lamiroy, op. cit., p. 62 ; Pirot, art. Agneau Pascal dans Suppl. au Dict. de la Bible, t. i, col. 157-158.

Donc, la mort de Jésus est un sacrifice, l’immolation d’un agneau pascal. Brinktrine, op. cit., p. 31-33. C’est bien ce qu’affirme saint Luc. Il nous rapporte ce que Jésus dit avant d’instituer l’eucharistie : « Je ne mangerai plus cette Pâque jusqu'à ce qu’elle soit accomplie dans le royaume de Dieu. Je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu’au moment où le règne de Dieu sera venu. » Y a-t-il allusion aux joies des élus dans l’autre monde ? On peut et on doit même le penser. Car Jésus avait, comparé le bonheurultraterrestre aux jouissances d’un banquet, Matth., viii, 11 ; puis, peu après l’institution de l’eucharistie, il devait faire aux apôtres cette promesse : « Je vous prépare un royaume comme mon Père me l’a préparé, afin que vous mangiez et buviez à t able dans mon royaume, et que vous soyez assis sur des trônes pour juger les tribus d’Israël. » Luc, xxii, 29-30.

Pourtant cette explication à elle seule ne permet pas de comprendre complètement la parole du Christ. Sans doute, « la pleine réalité se trouvera dans l'éternité bienheureuse après la résurrection ». Mais, si le royaume de Dieu ne se réalise complètement qu’au ciel, il commence déjà sur la terre. Jésus l’a dit maintes fois. Donc, en ce monde déjà, la figure de la Pâque doit disparaître devant une réalité plus parfaite. A la présentation de deux éléments juifs, l’agneau et la coupe de viii, le troisième évangéliste fait succéder immédiatement le don du corps et du sang du Christ. Le parallèle est indéniable. « Luc… n’a parlé de la Pâque juive que pour lui donner son congé et dans les termes qui en faisaient plus expressément la figure de la Pâque nouvelle, c’est-à-dire de l’eucharistie. » Elle est vraiment « la réalité divine qui dans le royaume de Dieu donne sa plénitude à la fête antique. Le règne du Très-Haut commence ici-bas pour s’achever au ciel. Les paroles de Jésus dans saint Luc embrassent les deux perspectives : mais la première, celle de la terre, a déjà une réalité qui accomplit la Pâque juive. » Lagrange, Évangile selon S. Luc, p. 542-543 ; Berning, op. cit., p. 119-151. Cette vérité se manifeste si bien que les critiques les plus indépen-