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MESSE DANS L'ÉCRITURE, LE SACERDOCE DU CHRIST


pliqucr ce silence étrange et qui, comme l’avoue, Franzelin, De ss. eucharisties sacramento et sacrificio, Rome, 1868, p. 338, constitue vraiment une difficulté. D’abord on a fait observer que l’auteur de l'épître lui-même semble ne pas vouloir dire tout ce qui sera possible sur cette ressemblance. En effet, aussitôt après une phrase où il affirme que Jésus « est déclare' par Dieu grand prêtre selon l’ordre de Melchisédech », v, 10, il ajoute immédiatement : « Sur ce sujet nous aurions beaucoup à dire et des choses difficiles à exposer, étant donné que vos oreilles sont devenues dures. » v, 11. Un peu après, vi, 1, il dit qu’il laisse « l’enseignement élémentaire sur le Christ » pour aborder « ce qui est parfait », donc des doctrines plus hautes. La comparaison du pain et du vin de la cène avec le sacrifice de Melchisédech aurait-elle été omise, parce que trop difficile ù exposer, v, 11, aux destinataires de l'épître, ou au contraire parce que le récit du repas d’adieu décrit par les Synoptiques fait partie de l’enseignement « élémentaire » connu de tous les chrétiens ? Ce serait une des « bases » de la foi que l’auteur ne croirait pas devoir « poser à nouveau ». vi, 1. Il n’est pas interdit de faire ainsi appel à l'épître pour expliquer son silence, puisqu’elle suggère elle-même cette explication.

Il semble bien d’ailleurs que l’auteur ne pouvait « guère s’arrêter à cette signification typique sans compromettre sa thèse et énerver son raisonnement ». F. Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1908, t. i, p. 531. Que veut manifestement l'épître adressée aux Hebrtei, c’est-à-dire à des disciples venus du judaïsme et qui peut-être n'étaient pas sans regretter le culte mosaïque ? Elle se propose de leur montrer qu’ils possédaient un sacerdoce supérieur à celui d’Aaron, un sacrifice plus saint que celui de la Loi : Jésus, prêtre selon l’ordre de Melchisédech, a offert son sang et il est entié avec lui dans le ciel pour y obtenir la rémission de tous les péchés. Les lecteurs étaient obligés de convenir que l’immolation d’un juste sur la croix l’emportait en valeur sur celle de vils animaux. Mais si la lettre avait parlé du pain et du vin de Melchisédech et du Christ, peut-être les destinataires auraientils été tentés de croire au contraire que le rite mosaïque avait plus d’importance que celui des chrétiens, et que le prêtre juif possédait une dignité supérieure à celle de Jésus. En effet, la Loi faisait offrir à Dieu des gâteaux de fleur de farine et des libations de viii, sang de la grappe. Mais ces oblations étaient considérées comme beaucoup moins importantes que les sacrificee d’animaux, et elles les accompagnaient comme un complément. Si donc l'épître avait rappelé que Melchisédech et le Christ présentaient tous deux au TrèsHaut du pain et du viii, quelques-uns des Hebrœi, des juifs de la veille, auxquels était destinée la lettre auraient pu conclure à la supériorité d’Aaron et de son rituel.

De même, puisque, d’après cette épître, le Sauveur par une oblation unique obtient pour toujours la perfection aux élus, x, 14 ; puisque, les fautes une fois expiées, il n’y a plus lieu de faire de nouveau des offrandes pour le péché, x, 18 ; puisque, la répétition des anciens rites s’expliquait uniquement par leur inefficacité, x, 1-4, il était difficile d’opposer aux cérémonies légales le geste de la cène qui se réitère dans les assemblées chrétiennes. L’auteur n’aurait pu le faire sans « s’obliger à expliquer comment le sacrifice eucharistique reproduit, commémore et ne multiplie pas le sacrifice sanglant du Calvaire ». Prat, op. cit., p. 531. On comprend qu’il ait hésité à engager dans cette voie des lecteurs « lents à comprendre », v, 11, des « enfants », v, 13, qui ont encore besoin « qu’on leur enseigne les premiers éléments des oracles de Dieu ». Il est une autre explication qui semble naturelle.

L'Épître aux Hébreux est un écrit bien composé et où se trouvent des divisions très apparentes. Or, dans les c. viii, ix, et x, 1-18, il est parlé du sacrifice de Jésus : aux victimes juives, aux rites de la fête de l’expiation, au cérémonial de la fondation de l’antique alliance est opposée la mort du Christ sur la croix, son entrée dans le Saint des Saints du ciel avec son sang, grâce auquel est conclu un nouveau pacte d’amitié entre Dieu et le véritable Israël. Tel est le sujet de toute cette partie de la lettre. Dans la précédente, au contraire, la question étudiée est celle du sacerdoce. L’auteur ne considère pas encore le sacrifice. Déjà il sait qu’il comparera bientôt et avec complaisance, l’immolation du Christ aux holocaustes du Sinaï et du Kippour. Il se garde donc bien de troubler à l’avance l’esprit du lecteur en lui présentant alors le rite de la cène et celui de Melchisédech. Plus loin, il comparera sacrifice à sacrifice. Ici, au contraire, il oppose sacerdoce d’Aaron à sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech. La mention des offrandes du pain et du vin n’eût pas été à sa place et, d’autre part, nous avons dit pourquoi elle ne pouvait pas figurer dans le long développement où les victimes juives sont comparées au sang du Christ.

Enfin, il n’est peut-être pas nécessaire de chercher tant d’explications. Les destinataires de l'épître pouvaient fort bien, comme Josèphe, Antiq. jud., i, x, 2, croire que Melchisédech n’avait pas offert un sacrifice de pain et de viii, mais qu’il avait seulement donné à Abraham et à ses soldats la nourriture dont ils avaient besoin. L’auteur de l'épître aurait alors évité d’employer un argument qui aurait été sans valeur à leurs yeux.

On le voit : du silence de l'épître aux Hébreux sur une similitude possible entre la présentation du pain et du vin par Melchisédech et la bénédiction par Jésus de ces deux mêmes éléments à la cène, on ne saurait conclure que, d’après cette lettre, l’acte du Christ n'était pas un sacrifice.

Cet écrit d’ailleurs ne laisse-t-il pas entendre qu’un rapport existe entre le repas d’adieu et la mort du Sauveur ? A qui en douterait, il serait facile d’opposer les trois faits suivants :

Premièrement, il est affirmé quatre fois dans cette épître, et en termes exprès, que l’immolation du Calvaire fut un sacrifice, vii, 27 ; ix, 14 ; ix, 28 ; x, 14. Or, à deux de ces endroits, vii, 27 ; ix, 14, l’auteur note que le Christ s’est offert lui-même, éaurôv àvevévxaç ; èauxôv Trpoar)veyy.ev. Deuxième fait : pour désigner l’immolation du Christ, l'épître dit tantôt qu’il a offert son propre corps, x, 5-10, tantôt qu’il a présenté son sang, ix, 12, 14, etc. Ce sang est appelé celui de l’alliance, x, 29 ; xiii, 20 ; alliance nouvelle, viii, 13 ; ix, 15 ; xii, 24 ; alliance pour la rémission des péchés, x, 16-17. Enfin, la scène du Sinaï où fut scellé dans le sang l’antique pacte de Jahvé avec Israël est rappelée en termes exprès : l’auteur cite les paroles même de Moïse : Voici le sang de l’alliance. ix, 18-20.

Puisqu’il en est ainsi, n’est-on pas amené à tirer la conclusion suivante : S’il est un endroit où, d’après les évangélistes et saint Paul, le Christ s’est offert lui-même, c’est le cénacle. Sans doute, au Calvaire, il mourut parce qu’il le voulut ; pourtant on ne saurait, nier qu’il fut crucifié par autrui, tandis qu’au repas d’adieu aucun tiers n’intervint. C’est lui seul qui se donna. Quant à la distinction du corps et du sang, elle ne s’opéra pas seulement au Golgotha, mais encore à la cène. Les mots de l'épître : oblation du corps, sang, sang de l’alliance, sang de la nouvelle alliance, sang de la nouvelle alliance pour la rémission des péchés, rappellent de la manière la plus indiscutable le vocabulaire du repas d’adieu. La phrase de