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MESSE AU DEUXIÈME SIÈCLE : SAINT JUSTIN


est difficile de le prouver. Cf. Brinktrine, op. cit., p. 91-92.

Et il en est ainsi de par l’institution du Christ. Six fois, il est parlé de l’ordre donné par Jésus d’accomplir cette eucharistie. Justin ne se contente pas de le dire, il le prouve par « les Mémoires des apôtres qu’on appelle Évangiles ». En ces écrits ils nous ont rapporté qu’il leur avait été ainsi prescrit : Jésus ayant pris du pain avait rendu grâces en disant : Faites ceci en mémoire de moi. ceci est mon corps. » Et ayant pris la coupe semblablement, il avait rendu grâcesen disant : « Ceci est mon sang. » lxvi, 3. Comme on le voit, Justin ne reproduit ici mot à mot la narration d’aucun des témoins de la cène. Mais on sait qu’il a connu nos évangiles canoniques. Jacquier, Le Nouveau Testament dans l'Église chrétienne, t. i, 1911, p. 106. Comme d’autres écrivains chrétiens, Clément d’Alexandrie par exemple, l’apologiste ne se croit pas obligé de citer textuellement leurs paroles. Il est moins préoccupé des mots que de la pensée. Il estime qu’elle est conforme à celle des apôtres.

Un rappel quelconque de la mort du Seigneur suffirait à la commémorer. A la cène chrétienne, il y a plus. Ce souvenir est évoqué non par une simple lecture ou uniquement par une prière, il l’est à l’occasion de l’action de grâces sur le pain et la coupe : les textes cités plus haut l’affirment expressément. Comment les comprendre ? Nul doute, il y a mémoire de Jésus, de son incarnation et de sa mort, parce que le Jésus jadis incarné et immolé pour notre salut redevient présent grâce à l’eucharistie du pain et du vin. Là même où t apologiste décrit le rite, il propose la vérité dans les termes les plus clairs, les plus réalistes. Ce pain et ce vin ne sont pas « du pain vulgaire », t un breuvage vulgaire », mais la chair et le sang de Jésus fait chair », pareils à « la chair et au sang » que prit le Verbe dans l’incarnation. Et Justin prouve cette vérJté par les paroles du Christ : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. » lxvi, 3. Voir Eucharistie, t. v, col. 1128 ; Struckmann, Die Gegenwart Christi in der heiligen Eucharistie, Vienne, 1905, p. 49-63.

Comment le pain et le corps cessent-ils d'être une nourriture vulgaire pour devenir le corps et le sang du Christ ? Justin répond : « Cet aliment est eucharistie par une parole de prière qui vient de lui », c’est-à-dire de Jésus. Apol., lxvi, 2. Aucun doute n’est possible, ces paroles qui remontent au Christ, ce sont celles qu’il a prononcées lui-même à la cène et que Justin reproduit : Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Apol., i xvi, 3. L’apologiste l’affirme en termes formels, lxvi : Il compare le Verbe qui a fait l’incarnation, âià Xôyou 6soù aa.py.07z oiYjflslç Tr)CToîjç Xptatôç, au verbe qui opère l’eucharistie, ttjç Si’euxîjç X6you toû roxp’ocÛTOû e ! r/y.pi.aŒïijav rpoçTQV. Ou bien, on croit que le Logos, le Verbe désigne dans les deux cas le Fils de Dieu et on traduit : « De même que, fait chair par le Verbe de Dieu, Jésus-Christ eut une chair pour notre salut, de même l’aliment eucharistie par la prière du Verbe qui vient de Dieu est la chair et le sang de Jésus », et l’unique formule connue de nous à laquelle ce titre peut être donnée, ce sont les mots du Christ cités par Justin : Ceci est mon corps. Ou bien on estime que, dans le premier terme de comparaison, le Logos, le Verbe désigne une personne divine, et que dans l’autre il s’applique à des paroles, à des mots. Mais, puisqu’ils viennent de Jésus, ils sont ceux qu’il a prononcés lui-même et que rapporte en cet endroit l’apologiste : Ceci est mon corps. Ou enfin on pense que dans les deux endroits le Logos, le Verbe, désigne une parole de commandement qui produit des effets merveilleux. Justin dirait donc : « De même que Jésus-Christ, fait chair pi r une parole de Dieu, a pris une chair pour notre salut, de même l’aliment

eucharistie par une parole de prière qui vient de Jésus est la chair et le sang de Jésus. » Quelle que soit l’hypothèse admise, la conclusion est le même : la parole, la prière qui rend la chair de Jésus-Christ présente sur l’autel, ce sont les formules : Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Fortescue, op. cit., p. 31 sq. ; P. Batilïol, op. cit., p. 29, fait remarquer que des non-catholiques, par exemple, Drews, Swete, adoptent ce sentiment.

Cette présence de la chair et du sang du Clu-ist font de la commémoraison du Sauveur un sacrifice. Le pain et la coupe de l’eucharistie sont devenus le corps de l’incarnation et le sang de la passion, et nous pouvons ainsi les offrir en action de grâces au Père. Telle est l’oblation chrétienne. « L’offrande de farine prescrite pour ceux qui sont purifiés de la lèpre était une figure du pain de l’eucharistie qu’en souvenir de la passion… Jésus-Christ nous a prescrit de faire afin que nous rendions grâces. » Dial., xli, 1. Nos « sacrifices, c’est le pain de l’eucharistie et semblablement le calice de l’eucharistie ». Dial., xli, 3. Saint Justin répète avec insistance cette affirmation. Pour lui « les sacrifices que Jésus a prescrit d’offrir, ce sont ceux qui par l’eucharistie du pain et de la coupe sont présentés par tous les chrétiens ». Dial., cxvii, 1. « Ce sont, dit encore l’apologiste, les seuls qu’il ait ordonné aux chrétiens de faire, dans la commémoraison de leur aliment sec et humide où est rappelé le souvenir de la passion. » Dial., cxvii, 3. Citons une dernière formule encore plus claire : « Les prières et les eucharisties faites par des personnes dignes sont les seuls sacrifices parfaits et agréables. » Dial., cxvii, 2. Cf. Brinktrine, op. cit., p. 91 sq.

Ils sont offerts par le nom de Jésus. Dial., cxvii, 1. Justin exprime encore deux autres fois cette pensée : il déclare qu’il n’est pas une seule race d’hommes où « au nom du crucifié des prières et des eucharisties ne soient faites au Dieu maître de l’univers ». Dial., cxvii, 5. Même remarque dans la description de l’assemblée chrétienne. Le président prend le pain et le viii, « exprime louange et gloire au Père par le nom du Fils ». Apol., lxv, 3. Rien de plus vrai, puisque Jésus est présent. C’est sans doute ce qui fait l’excellence des sacrifices chrétiens. Ils sont ceux qu’avait prédits Malachie, Dial., xli, 2 et 3, donc ceux qui glorifient le nom de Dieu, Dial., xli, 3, ceux qu’il accepte, Dial., cxvii, 1, les seuls qui, parfaits, lui sont agréables, Dial., cxvii, 2, ceux qui se font en toute nation. Dial., cxvii, 5.

Il ne faudrait pas laisser sans le souligner un mot, glissé en passant par l’apologiste dans sa description de l’assemblée chrétienne, mais qui n’a pas dû être écrit sans raison. Il observe que le président « exprime louange et gloire au Père de l’univers par le nom du Fils et de V Esprit-Saint s. Apol., lxv, 3. Cette courte mention de la troisième personne divine donne à croire que déjà elle était nommée par l’officiant au cours de sa prière. Les paroles de Jésus eucharistiaient le pain et la coupe ; mais c’est par le Fils et l’Esprit que le sacrifice était présenté au Père. Ne faut-il pas voir là une vague allusion, sinon à une épiclèse, du moins à un usage, à une prière ou forme d’oraison qui lui donna naissance ?

Il n’est pas nécessaire de discuter l’hypothèse d’après laquelle l’action de grâces serait à rapprocher des simples prières de la table. Le président ne remercie pas Dieu uniquement pour la nourriture quotidienne, mais pour tous les bienfaits de la création, pour toutes les grâces dues au Rédempteur. Son acte est une offrande, un sacrifice. Batiffol, op. cit., p. 22-23. Pour un autre motif encore il est impossible de confondre les prières et actions de grâces dont parle Justin avec des prières de table, un Benedicite. En réalité il n’y